Badinter contre la "loi d'airain" de la misère des prisons

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 36 commentaires

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La matinale d'Europe 1 est à Rungis, parcequ'il faut bien aller quelque part.


Brouhaha du marché en arrière-fond, qui atteste que Radio-Lagardère s'est immergée dans la France qui se lève tôt, y croit encore, bosse dur, et nourrit ses contemporains. Dans ses bagages, avec la boite à ricanements de Fogiel, elle a même amené Fillon, à moins que ce soit l'inverse. On papote relance, et génie français, sur fond de brouhaha laborieux légitimant. Quel Barthes d'aujourd'hui écrira la mythologie de Rungis ?

On zappe. Demorand reçoit Badinter. A partir d'aujourd'hui, le Sénat examine dans d'étranges conditions la loi pénitentiaire. Silence, tout d'un coup. Profond silence de ce trou noir: les prisons françaises. Et tout d'un coup, cette voix intacte, qui ne ressemble à aucune autre, n'a rien à vendre, cette voix revenue de tout et toujours brûlante d'on ne sait quelle fièvre, et qui capte l'attention. Il fonce, il mange ses mots. Et parfois s'arrête, comme atterré de sa propre démonstration. Demorand: "vous allez toujours visiter des prisons ?" Eh oui. Il y était encore vendredi dernier. Petite prison de la région parisienne. Cent prisonniers. Personnel admirable. Et six par cellule de dix-neuf mètres carrés. Il insiste. Les toilettes, évidemment, sont dans la cellule. "Des jeunes gens", dit-il.

Les prisons, et leurs suicides, cet épouvantable marronnier. Les prisons et leur budget qui passe toujours derrière tous les autres. Encore aujourd'hui, les sénateurs s'apprêtent sans rire à affirmer à la face du monde le principe de l'encellulement individuel, dans un pays où manquent dix mille places. Badinter se souvient quand, garde des Sceaux, il y a introduit la télévision. Il se souvient du tollé: bientôt le champagne, bientôt les prisons trois étoiles ! Il rappelle ses débats avec Mauroy, alors premier ministre, qui lui opposait d'autres priorités: les chômeurs en fin de droit, les petits retraités, etc "toutes légitimes, bien entendu". Depuis, il a réfléchi à la malédiction. Il a eu le temps. Et il énonce cette "loi d'airain": dans une société donnée, le niveau de vie des prisonniers ne peut pas augmenter plus vite que le niveau de vie des plus défavorisés se trouvant hors des prisons. Qui l'a votée, cette "loi d'airain" ? Tout le monde et personne, vous et moi. Croire que les textes, les pauvres textes peuvent tordre l'airain, il ne fait que cela depuis la nuit des temps, et ce matin encore.

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