Aux origines de Télé Blabla : la preuve par le pont

Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Le matinaute - 65 commentaires

Après l'effondrement, lundi 18 novembre, du pont de Mirepoix-sur-Tarn (deux morts) plusieurs internautes font circuler la séquence suivante de LCI. On y voit le directeur adjoint de la rédaction de Marianne, Perico Légasse, critique gastronomique (il était l'invité de notre toute première émission, sur le camembert au lait cru), livrer son analyse sur l'effondrement du pont.

Le ton général des internautes étonnés est "comment se fait-il qu'un critique gastronomique soit amené à donner son analyse de l'effondrement d'un pont ?" Quoi que l'on pense sur le fond de l'analyse de Légasse, reliant l'accident au délabrement général des ponts français, et préconisant de ("sortir du système économique dirigé par l'Union Européenne"), c'est une question pertinente.

Eliminons l'hypothèse-canapé : "parce que c'est le mari de Natacha Polony, et qu'elle a placé son mari". La directrice de LCI, Valérie Nataf, a répondu en substance : "parce qu'il est là tous les lundis". Le lundi, c'est Perico.

Mais comment en est-on arrivé là ? Comment se crée la télé des toutologues ? D'abord, explication générale, parce qu'elle est moins chère. En gros, ce type d'émission de plateau ne coûte que l'éclairage du studio, et le salaire de Pujadas. Mais dans le cas particulier de LCI, parce que c'est sa convention, qui lui impose d'être Télé-Blabla. Cette convention (article 3-1-1) limite le temps de ses journaux télévisés à 30%. "Les journaux télévisés et rappels des titres n’excèdent pas 30% du temps total de diffusion. Ce plafond s’applique également entre 6 heures et minuit. Ces programmes comprennent au plus un journal d’information par heure et un rappel des titres par demi-heure".

Pourquoi, pour une chaîne d'info en continu, cette étrange limite ? A l'origine, quand LCI a obtenu en 2016 son passage sur la TNT gratuite, il s'agissait de ne pas opposer une concurrence trop frontale, et déséquilibrée, à BFM, laquelle faisait valoir que la force de frappe de la rédaction de TF1 créait une concurrence déséquilibrée.  Condamnée aux magazines blablateurs, la chaîne a donc dû recruter du toutologue. Mais pas n'importe quel toutologue. Du toutologue "pluraliste" (article 2-3-2) : Légasse représente donc à LCI la sensibilité "souverainiste" de Marianne. Et du toutologue énervé : il s'agit de rattraper son retard d'audience sur BFM, seule profitable pour l'instant des trois chaînes d'info privées, comme le rappelait récemment le président du CSA, Roch-Olivier Maistre, sur France Culture. Et voilà comment un éminent camembertologue donne son analyse, tranchée, de l'effondrement des ponts.


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