Attention Daech, Kennedy arrive !
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 210 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Et en plus, il est plus fort que la pluie.
"Quand Hollande était sous la pluie, on parlait de la pluie. Macron sous la pluie, on parle de Macron" constate un des commentateurs de la journée multi-chaînes de la passation de pouvoir -on ne sait plus lequel, tant elles rivalisent dans la macronmania. "Maintenant, être président, c'est savoir bien prendre la pluie", renchérit Ruth Elkrief, dans une de ces magnifiques envolées performatives du meubleur de direct. Et de tartiner sur la perfection des mouvements de maxillaire, l'enrobé des accolades, le savant contraste entre démarche hiératique, et montée quatre à quatre des escaliers "à la Chaban-Delmas" (car le commentateur politique, même s'il n'était pas né, "sait" que Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre de Pompidou, montait les escaliers quatre à quatre). Si l'on n'a pas entendu vingt fois "écrouelles", tout au long de la journée, on ne l'a pas entendu une seule fois. En revanche, pas une seule occurence des "deux corps du Roi", mais je n'ai pas pu tout entendre.
Dualité du commentateur qui feint de ne pas voir la pluie, et s'ébahit dans la foulée de sa propre capacité miraculeuse à ne pas voir la pluie. "Il a, entre guillemets, de la gueule, s'extasie sur France 2 l'expert militaire Pierre Servent. Les militaires y sont sensibles. Ce n'était pas le cas des deux derniers présidents" (car l'expert militaire "sait" que le militaire est sensible à "la gueule"). Pour ne rien dire de Daech ! On imagine Daech désormais terré, devant "la gueule" du nouveau président, debout dans son "command car" couleur camouflage. Quelle image : attention Daech, Kennedy arrive !
Mais l'envolée performative a ses limites. Au-delà des véhicules militaires et du parc automobile, des tenues chamarrées des "personnages importants de l'Etat", des rétrospectives Mitterrand-Sarkozy-Hollande, de tout cet appareillage à faire "aimer" l'Etat en ses incarnations successives, l'image la plus obstinée de la journée, ce furent les trottoirs vides de Paris. Bruine ou éclaircies, ils restèrent désespérément vides. Vide la place Charles de Gaulle. Vide la place de l'Hôtel de ville, que montraient les impitoyables plans aériens. Mais la machine semblait ne pas les voir, ces trottoirs vides, qui criaient pourtant l'indifférence populaire à cette journée de Sacre. Toute une machine tournait à vide, et se voyait tourner à vide, car la machine a des yeux, et ces yeux voyaient comme les nôtres ces trottoirs vides. C'est un vrai talent, toute une journée, de parvenir à ne pas voir l'immanquable éléphant dans le couloir.