Astérix chez les woke

Daniel Schneidermann - - Silences & censures - Pédagogie & éducation - Le matinaute - 175 commentaires

On m'interpelle sur Twitter sur "l'autodafé" commis au Canada par "mes amis politiques". Tiens, je ne savais pas que j'avais des "amis politiques" portés sur l'autodafé au Canada, mais penchons-nous sur l'affaire. Elle est résumée ici (source unique pour l'instant) par une grande enquête de Radio Canada, titrée "des écoles détruisent 5000 livres jugés néfastes aux autochtones, dont Tintin et Astérix". L'illustration de l'article est une vignette tirée de l'album "Astérix et les Indiens", et qui interpelle directement l'astérixologue passionné mais lucide que je m'efforce d'être.

Première remarque liminaire, de ce que je comprends d'un début d'article assez embrouillé. Si "autodafé" il y a eu, il a été commis en 2019, sur une trentaine de livres, et non 5000. Les 4716 livres "retirés" cette année d'une trentaine d'écoles dans le sud-ouest de l'Ontario ont été, pour leur part, recyclés (c'est à dire, transposé à la France, balancés dans la poubelle jaune). Pourquoi aucun média n'avait-il dénoncé "l'autodafé" de 2019 ? Pourquoi cette année, cette grande enquête de Radio Canada ? À démêler. Toujours est-il que, même symboliquement moins choquants que la manière dont ils sont (et seront) résumés par le buzz, les faits posent les mêmes questions que les déboulonnages de statues, ou les interdictions de représentations théâtrales pour raison de représentation fausse de catégories dominées. Faut-il annuler (cancel) un certain nombre d'œuvres toxiques ?

Je ne vous résume pas l'article de Radio Canada, il est en accès libre, et très complet. Mes premières réactions, à sa lecture. Oui, les images contestées sont des représentations stéréotypées de catégories dominées. Non, leurs créateurs, animés pour la plupart d'excellentes intentions, ne sont pas membres de ces catégories dominées. Ces images stéréotypées sont-elles dévalorisantes ? Sans aucun doute, même involontairement, et paradoxalement (la petite squaw sexy qui entraîne Obélix, par exemple). Offensantes ? Ce n'est pas à moi de le dire, mais aux membres de ces catégories.  Faut-il donc les retirer des bibliothèques des 30 écoles francophones du Conseil scolaire catholique Providence de l'Ouest de l'Ontario ? Ah ah ! Nous y voilà.

On connaît les arguments des créateurs, et de leurs défenseurs : liberté d'expression, œuvres patrimoniales, et pour certaines, de qualité (encore qu'Astérix et les Indiens, adapté du film éponyme, lequel était lui-même adapté de "La grande traversée", n'est pas le meilleur Astérix, comme tous les albums post-Goscinny, mais je ne suis pas là pour donner mon avis). Ces arguments sont parfaitement entendables. Résultat ? Si je peux me permettre un conseil à mes amis woke de l'ouest de l'Ontario, autodafé comme poubelle jaune me semblent des solutions contre-productives. Saisissez-vous de ces livres. Placez-les au centre du débat. Organisez des lectures critiques, dans les classes, à la télévision, où vous voulez, sur l'exactitude ou non de ces représentations (ce que l'enquête de Radio Canada amorce par un mini-débat sur le thème "Est-il exact de représenter les Amérindiens torse nu" ?), ou encore sur le décalage entre les intentions des auteurs et la réception des œuvres. C'est sans doute un moyen plus sûr d'atteindre l'intelligence collective. Si toutefois c'est bien l'objectif poursuivi.

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