Ardisson, Clara Morgane, l'emprise et le consentement

Daniel Schneidermann - - Scandales à retardement - Le matinaute - 141 commentaires

Sur mon réseau social addictif préféré, le site de l'Institut national de l'audiovisuel rediffusait hier cet extrait.

Pourquoi l'INA rediffuse-t-elle aujourd'hui cette "Première fois" de Thierry Ardisson ? Officiellement, pour promouvoir pour la chaîne YouTube Arditube, qu'elle exploite avec l'ex-animateur de France 2 et Canal+. Mais il y a peut-être d'autres intentions, plus obliques.  Et en tout cas, revu aujourd'hui, alors que jour après jour, inceste après atteinte sexuelle, nous prenons la mesure du phénomène de l'emprise, se produit un étrange effet de réception.

C'est un extrait datant de 2001 de l'émission hebdomadaire de France 2 Tout le monde en parle. Tous les samedis soirs, pour regarder une émission par ailleurs souvent intéressante, il fallait alors... comment dire ? "voyeuriser" cette séquence "Première fois". Ces moments-là. Ces moments de viol ricanant de l'intimité, d'extorsion copain-copine de la confidence salace,  le plus souvent à une femme, sous les regards égrillards des mâles du plateau (ici le Bigard du lâcher de salopes, et Lambert Wilson qui n'avait pas encore trouvé sa rédemption en interprétant le frère Christian de Tibhirine).

Tous les samedis soirs, c'était malaise garanti. Un délicieux petit malaise de voyeurs forcés / consentants, malaise aussitôt réfréné : oui mais elle accepte cette extorsion de ses souvenirs ! Elle en fait commerce ! Et elle ne décrit après tout que des pratiques licites. On ne va pas être plus pudibonds qu'elle-même ! S'il s'agissait vraiment d'une forme de violence, ce ne serait pas diffusé sur le service public ! Et après tout, c'est une actrice porno ! (de la même manière que certains justifient le viol conjugal : "Oui mais c'est sa femme ! Oui mais la veille au soir, elle était consentante !" ) Consentement de la femme dans les scènes de souvenirs décrites, consentement de l'invitée sur le plateau, consentement des téléspectateurs : toute cette séquence n'était qu'un sketch sardonique, en abîme, sur le consentement, dans lequel l'apparent consentement de la victime emportait sans difficulté nos faibles scrupules.

En 2001, Clara Morgane se trouvait en pleine reconversion professionnelle, entre son passé d'actrice X et une carrière d'animatrice de télé et de femme d'affaires. Elle était donc banalement en promo. L'année suivante, en 2002, elle lancerait son propre calendrier sexy, avant de décliner sa notoriété dans tout un business de produits dérivés.  Pour elle, le plateau d'Ardisson (qui la réinviterait ensuite régulièrement) était le passage obligé vers cette seconde vie. Était-elle dans une situation de nécessité très différente, par exemple, de celle des plaignantes d'aujourd'hui contre le site porno Jacquie et Michel, dont les vidéos produisent la même illusion de consentement, ou même, allons plus loin, de celle des plaignantes contre  Gérald Darmanin ?

Entremêlements du spectacle et du réel : les ricanements sur le plateau sont les mêmes qui, quelques années plus tard, dans une autre émission d'Ardisson, accueilleront le récit par Tristane Banon de sa tentative de viol bien réelle par DSKEst-il excessif de dire que la télévision publique nous inoculait alors, à petites doses innocentes, une sorte de consentement à la culture du viol ?


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