Alerte poupées !

Chic, une nouvelle panique morale ! Après le PMU interdit aux femmes à Sevran, après les coiffeurs non-mixtes de Trappes, après les burkinis, les réunions non-mixtes, les couloirs de natation non-mixtes, les repas halal dans les cantines, les prières de rue, voici les poupées sans visage. Elles sont vendues dans un magasin de Roubaix, et c'est Zone interdite (M6) qui a révélé leur existence. Elles sont sans visage, "parce que islamiquement parlant on ne reproduit pas le visage, c'est Allah qui le fait" a glissé une vendeuse à la journaliste (séquence en caméra cachée). N'étant pas spécialiste des poupées, avec ou sans visage, je suis incapable de dire si le produit est nouveau. La panique, en revanche, est promise à un beau succès.

Produit par la maison Tony Comiti, familière de longue date des reportages policiers sur la sécurité ou l'islamisme (voir notre enquête sur les cop shows), ce reportage sur la rue de Lannoy à Roubaix s'inscrit dans une longue tradition. Rien de neuf, donc ? Si. Dans la tenaille que forment désormais les chaînes d'info privées et les réseaux sociaux, il bénéficie d'un écho assourdissant. Toutes les antennes bolloréennes l'ont labouré sans relâche. Le polémiste Mathieu Bock-Côté y a déjà consacré deux chroniques (à l'heure où j'écris). L'avocat de Charlie Richard Malka a proposé que toutes les chaînes le diffusent en solidarité (on est curieux de connaître la réponse de M6, détenteur des droits, à cette fière suggestion). Depuis sa diffusion, la présentatrice de M6 Ophélie Meunier, le jeune juriste et militant Amine Elbahi, qui a guidé l'équipe de M6, ainsi que le maire de Roubaix Guillaume Delbar (LR), ont fait l'objet de menaces de mort, les deux premiers pour diffusion d'un reportage islamophobe, le troisième pour complaisance envers les islamistes. Sans doute pas par les mêmes. Encore que l'on ne sait pas. Islamistes, islamophobes, islamistes camouflés en islamophobes, ou islamophobes camouflés en islamistes, la police fera le tri, espérons-le.

Le reportage sur la rue de Lannoy a fait l'objet d'un échange entre Mélenchon et Zemmour dans Face à Baba. La préfecture du Nord a fait fermer ("pour raisons sanitaires") le restaurant Le Familial dans lequel des tables étaient, paraît-il, réservées aux femmes.  La vendeuse de poupées a expliqué sur Facebook qu'elle préférait ses poupées aux poupées Chucky (cherchez sur Google). Comme d'habitude, ce reportage a suscité des contre-reportages, en l'occurence du service public. On lira par exemple avec intérêt ce reportage de France Bleu, qui rappelle que l'on peut trouver rue de Lannoy des boutiques proposant des crucifix et des Saintes vierges, et que certains commerçants consomment même du saucisson. Interrogée par les Grandes Gueules, Sandrine Rousseau a espéré que les fillettes propriétaires donnent vite un visage à leurs poupées. Elle leur a suggéré de s'armer pour cela de crayons et de feutres. C'est la suggestion la plus sensée que j'ai lu sur le sujet.