Accélération de l'ultra-droite : du théâtre ?

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 158 commentaires

"Depuis trente ans, on nous fait craindre le retour du fascisme. C'est du théâtre." C'est le géographe Christophe Guilluy qui dénonce cette peur artificielle dans une interview au Figaro, et le journaliste Alexandre Devecchio (par ailleurs nouveau chroniqueur à France Inter)  aime tellement cette idée qu'il en fait son titre. "Les élites […] tiendront les populations par la peur, développe Guilluy. La gestion par la peur consiste à promettre l'apocalypse, qu'elle soit démocratique, écologique ou sanitaire. L'apocalypse démocratique consiste par exemple à nous faire croire depuis trente ans à l'arrivée du fascisme. C'est du théâtre et cela permet de rabattre éternellement les indécis ou le gros bloc des retraités vers les partisans du modèle globalisé." 

Pour avoir mis en évidence le phénomène des zones périurbaines, Guilluy mérite d'être écouté avec attention. D'autant que la thèse d'une diversion par la crainte du fascisme, destinée à rabattre les classes moyennes effrayées vers les candidats du néo-libéralisme, n'est pas nouvelle. N'éliminons donc pas l'hypothèse d'une surmédiatisation intéressée de la menace d'extrême-droite, destinée à orienter au dernier moment vers un "vote barrage" Macron, modèle 2017.

Mais si la surmédiatisation de Zemmour ne fait aucun doute, il n'en va pas de même d'une série de phénomènes souterrains, étrangement sous-médiatisés, au contraire. Revenons sur les derniers mois (et je ne suis ici attentif qu'aux faits impliquant des militaires ou des policiers, en activité ou retraités, ou dans lesquels sont impliquées des armes).

Samedi dernier, dans l'Eure, les douaniers découvrent un arsenal clandestin. Selon l'enquête du Monde publiée hier, ont été découvertes 130 armes, dont "des fusils d'assaut AR-15 et AK-47, au moins deux pistolets-mitrailleurs, des armes de poing, deux fusils à pompe à canon et crosse sciés, 200 kilos de munitions diverses, des grenades, cinq obus". Dans la même cache, du matériel de "propagande liée à l'extrême droite" a aussi été découvert. Parmi les deux interpellés âgés de 25 ans, un militaire d'active, caporal au 35e régiment d'infanterie de Belfort. À cette heure, aucune dépêche AFP n'a relayé ce scoop du Monde.

La semaine dernière, dans le Sud Ouest, ce sont "plusieurs dizaines d'armes de toutes sortes (des armes longues, courtes, des munitions etc.), ainsi que du matériel entrant dans la composition d'explosifs" qui ont été découverts. Deux personnes ont été interpellées, et mises en examen. L'un des deux, jardinier municipal à Montauban, animait une boucle Telegram intitulée "jusqu'en enfer", qualifiée "d'accélérationniste", nouveau concept qui, pour le coup, a suscité la curiosité de quelques médias. Selon le chercheur Nicolas Lebourg interrogé par Franceinfo, les "accélérationnistes" (plusieurs milliers de personnes en France) pensent que la guerre raciale a commencé depuis 2015, et "qu'il faut provoquer le chaos, de manière à survivre".

Ces deux découvertes d'armes, je me permets de les relier au démantèlement récent de l'étrange "opération azur", à la session de formation des préfets sur la chaîne du milliardaire zemmourien Bolloré CNews et, pour remonter au printemps, aux appels putschistes des généraux (un de ces généraux a été animateur cet automne d'une manifestation anti-pass, à Belfort, au cours de laquelle les journalistes de l'Est Républicain ont été menacés jusque dans leur bureau). Si cette "accélération" est une mise en scène théâtrale, il faut féliciter les metteurs en scène.


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