Siné Mensuel, accusé d'antisémitisme

Daniel Schneidermann - - Humour - Initiales DS - 160 commentaires

"Il y a des moments, je me demande s'ils sont au courant que Siné est mort" s'emporte au téléphone Catherine Sinet, rédactrice en chef de Siné Mensuel. Elle ne décolère pas, depuis qu'une escouade de  twittos influents (les philosophes Bernard-Henri Lévy et Raphaël Enthoven, le fondateur du Printemps Républicain Gilles  Clavreul, mais aussi l'ancien directeur de la Cité de la bande Dessinée et de l'Image d'Angoulême Gilles Ciment) a fondu sur la dernière couverture du mensuel, couverture que voici (tous les tweets anti-Siné sont cités dans un article de Didier Pasamonik sur le site ActuaBD).

Ce dessin de couverture accompagne cet éditorial du mensuel.

Si aucun des assaillants virtuels de Siné Mensuel ne se risque à l'accuser frontalement d' "antisémitisme", l'accusation affleure sous tous les tweets ("dégueulasse", "réincarnation de Je suis Partout", "abjecte").

Commandé à l'illustre dessinateur Jean Solé (73 ans), ce dessin n'était pas censé faire la couverture du mensuel. "Comme l'élection approche, on voulait un petit cabochon, qui nous aurait servi à illustrer tous nos articles sur le sujet jusqu'en 2022, raconte Catherine Sinet. Au dernier moment, on l'a trouvé chouette, on l'a mis en couverture. Solé était très content." Au dernier moment aussi, le titre devant accompagner le dessin est modifié. Au titre initial ("C'est moi la République") est substitué "quoiqu'il vous en coûte", inspiré du fameux "Quoiqu'il en coûte" de Macron, à propos du coût des mesures d'accompagnement du COVID. Dans l'équipe du journal, seul le secrétaire de rédaction a émis une timide réserve, vite évacuée, sur le dessin, "mais personne n'a parlé d'antisémitisme" précise Catherine Sinet.

Au total, est donc balancée sur les réseaux sociaux une couverture sur laquelle plusieurs éléments (nez busqué, doigts crochus, intentions cupides prêtées à un homme de pouvoir, qui se trouve être un ancien de la banque Rothschild, et régulièrement attaqué sur ce thème) font référence à la tradition des caricatures antisémites, de l'affaire Dreyfus à nos jours. Et les réactions affluent. Réponse des pro-Siné (et défenseurs de Solé) : oui mais regardez la couronne ! Oui mais la bague ! Oui mais le pedigree brillant et irréprochable de Solé, garanti par deux auteurs culte -et juifs : ses débuts dans les années 70 au Pilote de René Goscinny, sa collaboration avec Marcel Gotlib sur la série Super Dupont

Au premier rang de ces défenseurs, l'enseignant en nouveaux médias à Paris 8 et bédéphile Jean-Noël Lafargue, qui a surtout vu dans le dessin une référence au prince Jean dans le Robin des Bois de Disney.

Et le nez ? "C'est un nez Bourbon" réplique Catherine Sinet, à qui un ami, depuis que le scandale a éclaté, a soufflé cette réponse. Et puis, allez dessiner l'insaisissable nez de Macron !

Et les doigts crochus ? En soupirant, la rédactrice en chef -et veuve du fondateur Siné- va chercher le dessin. Le re-regarde. "Moi, je vois des doigts avec un peu d'arthrose. C'est compliqué d'expliquer aux gens qui ne sont pas dessinateurs que si vous essayez de dessiner des mains sérieusement, vous aurez toujours des doigts crochus. Siné n'y arrivait jamais. Quand il devait dessiner des mains, il me demandait de prendre la pose".

L'affaire val-siné

Au-delà du discret Solé, qui s'est toujours tenu à l'écart du débat public (il n'a pas répondu aux sollicitations d'ASI), l'affaire n'aurait sans doute pas soulevé une telle offensive, si le fondateur du journal, Bob Siné, n'avait lui-même, en 2008, essuyé une retentissante accusation d'antisémitisme, à propos d'une chronique de Charlie traitant du mariage de Jean Sarkozy (fils du président d'alors) avec l'héritière des magasins Darty, Jessica Sebaoun : "il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit !"  Le directeur d'alors, Philippe Val, l'avait renvoyé, après que le scandale ait été lancé par Claude Askolovitch, actuel titulaire de la revue de presse de France Inter, à l'époque à l'Obs, et qui devait peu de temps plus tard intégrer le groupe Lagardère, (où il collaborait à la fois à Europe 1 et JDD). Selon l'AFP, Siné s'était ainsi défendu : "Je reproche à Jean Sarkozy de se convertir par opportunisme. S'il s'était converti à la religion musulmane pour épouser la fille d'un émir, c'était pareil. Et (la fille d')un catholique, pareil, j'ai jamais fait de cadeau aux catholiques.

De semblables accusations d'antisémitisme à propos de représentations d'Emmanuel Macron ont déjà été portées, souvent par les mêmes twittos influents, notamment contre Gérard Filoche, ou contre Les Républicains, pendant la dernière présidentielle.

En 2009, Siné a été débouté de sa plainte en diffamation contre Askolovitch, mais a gagné son procès contre la LICRA qui, de son côté, avait porté plainte contre lui pour antisémitisme. "Chapeau Internet, ils m'ont sauvé la vie" s'était exclamé le dessinateur, sur notre plateau. Mais la mémoire est longue, sur ces sujets. "Ils ne l'ont jamais avalé", répète Catherine Sinet, qui s'affirme "prête à se battre".



Lire sur arretsurimages.net.