Paris 14e : un oral avec ma candidate

Daniel Schneidermann - - Initiales DS - 86 commentaires

La socialiste Olivia Polski est l'adjointe d'Anne Hidalgo chargée "du commerce, de l’artisanat, des professions libérales et des métiers d’art et de mode". Entre l'étal du poissonnier et celui du maraîcher, sous le préau d'une école publique, Daniel Schneidermann, unitaire convaincu, a soumis "sa" candidate (Nupes, 14e arrondissement de Paris) à un feu roulant de questions. Pourquoi n'était-elle pas au meeting de la Nupes le 1er juin ? Pourquoi n'a-t-elle pas mis le nom de Mélenchon sur son affiche ? Pourquoi Anne Hidalgo n'a-t-elle recueilli que 1,7 % à la présidentielle ? Un reportage à pied, garanti zéro carbone.

PARIS 14e. Son casque de vélo réglementaire d'élue hidalguiste à la main, Olivia Polski, adjointe d'Anne Hidalgo chargée "du commerce, de l’artisanat, des professions libérales et des métiers d’art et de mode", parcourt en territoire familier le marché de la mairie du 14e arrondissement de Paris. Ce devrait être un marché tranquille : ce n'est pas son premier passage . Mais soudain se dresse sur son chemin une socialiste fâchée. Des fâchés, ici aussi, comme chez Ruffin ? Pas les mêmes. La fâchée parisienne n'a pas supporté le "La police tue" de Mélenchon, "ce connard de vieux stalinien !" Polski : "Je ne cautionne pas la généralisation, mais je me permets de le dédouaner. Une femme est morte...""Et chez les flics, il n'y a pas de morts ? Un élu de la République qui crache sur les flics !" "Là, c'est Olivia Polski. Ce n'est pas Mélenchon", tente une militante. "Et alors ? Vous êtes alliés !" Quelques minutes plus tard, la candidate Nupes-PS tombera sur une fan absolue de l'Insoumis, "sa verve, son humour, son humanité. Je l'adore". Statistiquement, lesquels l'emportent ? La veille au soir, sous un préau d'école, ce n'étaient que félicitations émues sur l'union de la gauche. Mais "le «La République, c'est moi» lors de la perquisition, ça revient souvent", constate Olivia Polski.

La candidate est à peine un obstacle sur le chemin du kilo de fraises

Après tant de quartiers pauvres en compagnie de candidats insoumis, choc de la déambulation dans ce quartier-là, où les gens se paient le luxe d'avoir des "positions". De dire "plus jamais". Ce quartier où ils argumentent d'égal à égal avec les candidats. Ce matin, deux catégories : ceux qui tutoient Olivia Polski parce qu'ils l'ont vue grandir, et ceux qui refusent ses tracts. Les habitants des quartiers riches ont une manière inimitable de refuser le tract qu'on leur tend.  C'est la même esquive agacée, dédaigneuse, sans explication, que s'ils refusaient deux euros à un SDF. "Je vote pour vous parce que vous êtes agréable, pas pour le programme" lance un sexagénaire qui a suggéré ironiquement "la retraite à zéro an". "Faites comme vous voulez". La candidate est à peine un obstacle sur le chemin de leur kilo de fraises ou de leur quart de brie truffé. Même les "je vais voter pour vous" n'ont pas la même saveur que dans le 93, avec Aurélie Trouvé. Là-bas, chaleureux, réconfortants, fraternels. Ici, rassurants, vaguement paternalistes, "t'inquiète pas, petite, c'est en mains".

J'ai suivi cette campagne en TGV, en voiture, en scooter, à vélo. Pas toujours super pour le bilan carbone. L'heure est au rééquilibrage. Ce dernier reportage du premier tour sera pédestre. Avec la candidate Nupes pour laquelle je suis amené à voter, dans ma circo à moi, la 11e de Paris, comprenant le nord du 14e arrondissement, et un petit morceau du 6e. Cela tombe bien. "Ma" candidate me pose problème. Olivia Polski était une des deux seules candidates parisiennes absentes du grand meeting parisien de la Nupes, le 1er juin, dans la salle Olympe-de-Gouges. Une absence sans explication, laissant soupçonner une dissidence intérieure. Sous-marin d'Anne Hidalgo au cœur de la Nupes ? Prête à trahir, une fois élue ? "Qui a trahi trahira" me disait Olivier Faure, l'autre jour, pour résumer le soupçon pesant sur les socialistes après Hollande.  Et voilà que point ce soupçon.  Il fallait que ça tombe sur ma candidate !

C'est pour me convaincre personnellement que je m'offre le luxe d'un examen de passage personnalisé. Alors, pourquoi cette absence au meeting unitaire ? Pour cause de rivalité inextricable, dans la 15e circonscription, au nord de Paris, entre l'Insoumise Danielle Simonnet, soutenue par la Nupes, et la socialiste Lamia El Aaraje, soutenue par le PS. "Je ne voulais pas me trouver en porte-à-faux à côté de Simonnet". Chaise vide, donc, de la même manière que sa profession de foi ne comporte ni la photo ni même le nom, du candidat premier ministre Mélenchon. "On n'y est pas obligés. Je suis loyale à l'accord". Symétriquement, les Insoumis n'ont donc envoyé personne au meeting de jeudi soir. Mais étrangement, j'ai l'impression qu'elle en veut davantage à Olivier Faure, qui "n'a pas assez bien négocié avec LFI", et "n'a pas travaillé sur le fond en quatre ans", qu'à Mélenchon lui-même. Cette pathologie fratricide des socialistes...

"Elle est formidable, Anne"

"Pensez-vous que vous avez davantage gagné ou perdu avec l'union ?", je lui demande, devant le poissonnier. "Ce qui est sûr, c'est que sans union, je ne serais pas au second tour". Elle pense figurer au coude-à-coude avec la sortante et candidate de Macron, Maud Gatel, dont elle salue amicalement les militants sur le marché. Gatel était la suppléante de la députée de la circonscription et cocheffe du Modem, Marielle de Sarnez, décédée l'an dernier. Au cours de l'avant-dernière législature, de 2012 à 2017, cette circonscription était celle de l'une des figures des "frondeurs" socialistes sous Hollande, Pascal Cherki. Autrement dit, tout est possible.

Une chose est certaine : taper sur Emmanuel Macron est un des meilleurs arguments de vente d'Olivia Polski. La veille, j'ai assisté à une réunion dans un préau d'école : Macron a été la cible de toutes les attaques. De même, toute attaque anti-Mélenchon sur le marché est désamorcée d'un "vous voulez continuer à payer des milliards de dividendes ?" Ce qui ne suffit pas à faire d'Olivia Polski une Nupes girl insoupçonnable. Suite de l'examen. Comment explique-t-elle la débâcle de Hidalgo ? La faute à Zemmour, qui a trusté la campagne. OK. Et aussi bien entendu, un peu, à la trop pure vertu de la candidate, qui a refusé les phrases-choc, du genre "La police tue". Tout de même, le doublement du salaire des profs, ce n'était pas démagogie pure ? "Rien à voir". Mais la lourde défaite (1,7 %) ne serait-elle pas due aussi aux attaques de Hidalgo contre Mélenchon, sa cible quasi-unique ? Elle se cabre. "Elle a aussi attaqué Macron, même si vous l'avez moins entendu, peut-être parce que vous vouliez moins l'entendre. Elle est formidable, Anne. Elle a été droite sur ses valeurs, par exemple sur la République"

Nous y voilà. C'est sur ce thème des "valeurs de la République" qu'Hidalgo a attaqué Mélenchon tout au long de sa campagne. "Vous les avez comprises, ces attaques ?", demandai-je à celle qui porte maintenant les couleurs de la Nupes. Inévitablement, on en arrive à la question de l'antisémitisme.  "Je ne soupçonne pas Mélenchon d'être antisémite", admet-elle. Alors ? "Alors il y a des silences qui ont fait mal. Des complaisances, dans des manifestations, avec des gens qui tenaient des propos antisémites". Très bien. Crevons l'abcès. On fait le compte de nos grands-parents séfarades et ashkénazes : j'en compte un de plus qu'elle. On peut causer : quels silences ? Quelles complaisances ? Quelles dates ? Sur le moment, elle ne sait plus. Elle va rechercher. Comment perdure une rumeur urbaine, tout de même ! On écrase les freins avant d'entamer un débat sur la distinction entre antisionisme et antisémitisme, on y passerait la journée. De but en blanc, pour la prendre de court : "Pour vous, il ferait un bon premier ministre, Mélenchon ?" Dans un grand sourire :"En tout cas, ce sera un premier ministre qui emmerdera bien Macron". Résultat le 19 juin

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