Berlin 1933 : une enquête sur les médias d'hier, dans les médias de 2018...

Daniel Schneidermann - - Initiales DS - 18 commentaires

Pour une fois que je vis, de l'intérieur, une séquence-promo médiatique, autant vous en faire profiter : un mois et demi après sa publication, l'accueil par les medias de mon livre "Berlin, 1933, la presse internationale face à Hitler", consacré à l'aveuglement médiatique à propos de la montée du nazisme, me plaçant pour une fois en position de cobaye, a réservé son lot de surprises. En résumé : un intérêt réel, sincère, de nombreux confrères, qui ont dévoré le livre. Mais une réticence du système médiatique dans son ensemble à s'emparer de l'enquête, pour se regarder dans le peu flatteur miroir du passé.

Première agréable surprise, donc, l'intérêt, voire l'enthousiasme, d'un certain nombre de confrères (Guillaume Erner de France Culture, Sonia Devillers et Pierre Weill de France Inter, Xavier de la Porte de l'Obs, ou Jérôme Lefilliâtre de Libé). Pardon de ne pas tous les citer. Quelques autres, m'ayant reçu avant lecture complète, comme Caroline Broué (France Culture), ont néanmoins insisté sur l'importance du livre.

Ce qu'ils retiennent ? Chaque lecteur, chaque lectrice, et heureusement, s'appropriera le livre de manière différente. "Pour dénoncer une monstruosité, l'indignation est rarement le procédé le plus efficace" conclut Pascal Riché, (L'Obs). "Et dans notre monde post-Trump de 2018, y a-t-il des choses que nous sommes incapables de comprendre, bien que nous les voyions ?" se demande Jérôme Lefilliâtre dans Libé.

A noter que ce bouquet d'enthousiasmes personnels contraste avec le silence total de la quasi-totalité de l'audiovisuel. Rien sur les radios privées. Pas un mot sur les chaines de télé, publiques ou privées. Faut-il croire qu'il n'existe plus, à la télé, aucun espace pour discuter d'un livre n'offrant pas de prise à une polémique clés en main ?

C'est du côté de medias en ligne que sont venues les autres bonnes surprises, ou les commentaires les plus inattendus. Un entretien vidéo un peu exotique chez les Anonymous de la chaine Youtube Thinkerview frise aujourd'hui les 100 000 vues. Prenant appui sur le livre, le médiologue (et spécialiste d'Aragon) Daniel Bougnoux a rappelé quels sont les cinq degrés du déni. La journaliste Dominique Conil rapproche le livre de la série télé Babylon Berlin. Rapprochements inattendus et stimulants. J'ai été très heureux que Pascal Riché, de L'Obs, insiste sur la clairvoyance unique de l'éditorialiste du Figaro Georges Duhamel, une de mes rares découvertes réconfortantes de cette exploration dans les Années 30.

Les medias de la communauté juive ont été attentifs, et bienveillants. Citons ici Paule-Henriette Lévy sur RCJ, et un entretien au "campus numérique juif" Akadem.

Cet intérêt ne rend que plus étrange le silence de plusieurs journaux, que le sujet devrait pourtant mobiliser. J'aurais dû m'y attendre : les journaux français cités dans mon livre, car paraissant déjà dans les années 30 (Le Figaro, L'Huma La Croix) sont, à ce jour, muets. Il est vrai que le retour sur la couverture des premières années de l'hitlérisme n'est pas toujours à l'avantage de leurs grands devanciers. Enfin, palme de la déception au très succint article du correspondant du Monde à Berlin, Thomas Wieder, n'établissant aucune relation entre Berlin, 1933 et ses propres questionnements de journaliste chargé de couvrir, à Berlin, en 2018, l'ascension de l'extrême-droite. L'article n'étant pas en ligne, en voici, ci-dessous, le début. 

Il parait donc que Berlin, 1933, "irritera". J'aurais bien aimé que Thomas Wieder poursuive sa pensée, et nous indique qui, aujourd'hui, pourrait être "irrité" par le rappel de cet aveuglement collectif. Occasion manquée.



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