Polémique au festival Chéries-Chéris : la parole aux mis en causes

Élodie Safaris - - Déontologie - Calmos ! - 70 commentaires

Comment un incident survenu lors d'un festival de cinéma LGBTQIA+ a pris une dimension nationale, fait réagir la Ministre de la culture et entrainé la suspension de la subvention de la région Île-de-France ? Retour sur un emballement politico-médiatique au récit unilatéral, reprenant sans aucune prudence des accusations d'antisémitisme. "Calmos" donne la parole aux personnes mises en cause.

C'est une publication Instagram de la podcasteuse et entrepreneuse Julia Layani qui a provoqué un enchaînement de réactions et de décisions (plus que) hâtives. Douze "slides" pour raconter comment, alors membre du jury du festival parisien de cinéma LGBTQIA+ Chéries-Chéris, elle estime avoir été "censurée, silenciée, exclue, excommuniée" par d'autres participant.e.s. 

Sa version de l'histoire, la voici : elle assure avoir été mise au courant, en amont de l'évènement, qu'une tribune interne tentait de la "virer du jury". Cela ne l'a pas empêchée de visionner les 68 court-métrages en compétition ni de participer "à la rencontre des autres membres du jury tous sympathiques". Les membres du jury qu'ASI a pu contacter par téléphone ou par écrit et qui ont tous souhaité garder l'anonymat, confirment que le festival s'est bien déroulé et que "tous les moments collectifs [avec Layani] étaient cordiaux". Que s'est-il donc passé ? 

L'ancienne fondatrice du média "Fraîches" raconte avoir reçu, le jour de la cérémonie de clôture du festival, un mail proposant à l’ensemble des membres du jury de lire un texte sur la scène pour "parler des atrocités qui se passent dans le monde". Elle dit avoir proposé sa participation à condition de pouvoir y "mentionner les otages israéliens encore captifs du Hamas", mais ne pas avoir reçu de réponse. 

"On avait pourtant dit en France « plus jamais ça »", écrit, toujours sur Instagram, l'animatrice de podcast qui se dit victime d'antisémitisme et "témoin de la montée du fascisme". Dans la vidéo qu'elle partage, elle est seule au micro et raconte, la gorge nouée, qu'elle vient d'être empêchée de monter sur scène par d'autres membres du jury. "Le moment d'émotion et de frustration le plus fort de ma vie". Son témoignage provoque rapidement l'indignation sur les réseaux.

La publication Instagram est rapportée sur X par Sophia Aram (420 mille vues) dont le post est largement repris, y compris par la vice-présidente de la région Île-de-France Florence Mosalini-Portelli qui annonce dare-dare que "la région suspend sa subvention au festival Chéries-chéris". Quelques heures plus tard, c'est même la ministre de la Culture démissionnaire, Rachida Datiqui donnera une dimension nationale à l'affaire dans une publication où elle dénonce "une atteinte grave aux valeurs de notre République", en partageant le communiqué de la direction de MK2.

Le lendemain "seulement", la direction de Chéries-Chéris publiera elle aussi un communiqué faisant part de son "indignation la plus totale" et de son "soutien absolu" à Julia Layani dont elle reprendra sans précaution le récit.

"Une cabale antisémite"

"Une affaire d'antisémitisme décomplexé dans le milieu LGBT+" tweete Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles de Libé. 24 heures durant, l'indignation est collective et quasi-unanime. Politiques, journalistes, associations, reprennent à leur compte l'accusation d'antisémitisme portée par Julia Layani. La majorité des médias qui traitent de l'affaire feront de même.

Sur Europe 1, l'interview de la jeune femme par Pascale de la Tour du Pin est un cas d'école. La journaliste martèle tout au long de l'échange qu'il s'agit d'antisémitisme - sans jamais le caractériser - :"Ils vous visaient directement parce que vous êtes de confession juive"puis "on est d'accord, Julia Layani, c'est de l'antisémitisme ?". 

Nulle part l'animatrice et influenceuse n'est questionnée sur ce qui, concrètement, serait à caractère antisémite. Partout, elle peut dérouler son réquisitoire, comme auprès du Point : "Je le scande haut et fort, j'ai été victime d'antisémitisme". Sur Radio J, elle justifie ainsi ses accusations : "Si on silencie un Juif...qu'est-ce que c'est que l'antisémitisme si ce n'est pas ça ?", et se désole auprès de Franc-Tireur d'être "ramenée à [son] identité juive". Quelques médias se montrent un peu plus prudents, à l'instar des Inrocksqui évoquent une "accusation très maigrement étayée".

Les jurés mis en cause avec lesquels ASI a pu s'entretenir ne décolèrent pas : "Dans ce climat politique, c'est tellement facile de coller l'étiquette d’antisémitisme sur quelqu'un pour le disqualifier sans preuve, je trouve ça dégoûtant, révoltant !", tempête l'une de nos sources après avoir confessé ne pas être au courant que Julia Layani est juive. Sur les douze personnes signataires de cette tribune interne, quatre sont jurés et les autres des cinéastes et participant.e.s. L'un.e d'elleux est d'ailleurs juif.ve.

“sioniste d’extrême droite” repris partout mais jamais prononcé ?

Celle que Streetpressqualifie de "lesbienne mainstream et podcasteuse star" en est persuadée, c'est "en raison de [son] nom juif"qu'elle a été "assimilée par ces gens à une « sioniste d'extrême droite »". "Quel est l'indice de mon sionisme puisque je ne le mentionne jamais ?" interroge-t-elle, sous entendant que la qualifier de "sioniste" alors qu'elle ne parle jamais des massacres en cours à Gaza, serait lui attribuer un positionnement fondée sur sa judéité - ce qui, en effet, constituerait un préjugé antisémite.  

Les mots "sionistes d'extrême droite" ont-il seulement été prononcés par les signataires de la tribune interne ? Layani raconte sur son compte Instagram : "Une gentille personne que je ne connais pas m'a envoyé un message sur instagram pour me prévenir que l'une de ses connaissances allait signer une tribune pour me faire virer du jury car je suis, je cite « sioniste d'extrême droite »". C'est donc à partir d'un terme rapporté par quelqu'un qu'elle ne connait pas que la jeune femme va s'appuyer pour décréter le caractère antisémite de l'affaire. L'expression "sioniste d’extrême droite" est reprise dans la majorité des articles sans aucune précaution.Pourtant, les personnes visées sont formelles : cette expression n'aurait été employée par aucune des douze personnes signataires, ni à écrit, ni à l'oral. ASI a pu accéder à la tribune en question et il n'est fait référence nulle part à son hypothétique "sionisme", ni à un quelconque positionnement "d'extrême droite" (que les jurés contactés ne lui attribuent d'ailleurs pas). "Ce sont ses ami.e.s à ELLE qui nous ont traité·es de facho à la fin de la cérémonie de clôture, rétorque l'un.e, pas l’inverse !"  

Le 16 décembre, l'animatrice de podcast a partagé sur son compte Instagram un courrier reçu de la mairie de Paris lui assurant "tout [son] soutien", saluant son "courage", et dénonçant les "propos antisémites portés à [son] encontre". Sur BFM, Florence Portelli, avait elle aussi parlé de "propos antisémites" sans que l'on ne sache non plus à quoi elle faisait référence. 

Sans contradictoire

LeNouvel Obs a fait, de son côté, preuve de prudence en évoquant "des accusations de « sioniste d’extrême droite » dont elle croit faire l'objet". Peut-être est-ce parce que ce sont les seuls, avec Libé, à avoir contacté les membres du jury signataires ? En l'absence de contradictoire, le traitement médiatique s'appuie très majoritairement uniquement sur le récit de Julia Layani (et sur celui de la direction du festival qui prend fait et cause pour elle). Douze personnes, voire le jury au complet, sont ainsi qualifiées d'antisémites sans que les journalistes qui l'écrivent ne trouvent utile de les contacter. Le contradictoire aux oubliettes.

Le Point qui se vante pourtant d'être allé "dans les coulisses d'une cabale aux relents antisémites" semble aisément se contenter d'une seule version des faits (pourtant sacrément labyrinthiques) et ne donne la parole qu'à Julia Layani. Tout comme Le Figaro, Têtu, Cnews, Europe 1, ou encore Le Parisien. Ce qui n'empêche pas le magazine de droite d'utiliser une photo de membres du jury pour illustrer "une cabale aux relents antisémites".

Dans plusieurs articles et interviews, une autre anecdote est traitée comme un incident significatif. Layani raconte avoir entendu de la bouche d'une jurée  : "S'il y a des sionistes dans les équipes des films, ça serait bien de le savoir." ASI s'est entretenu avec l'une des personnes présentes à ce moment-là. Elle nous assure que non seulement celle qui a prononcé ces mots ne fait pas partie des jurés signataires mais surtout que sa déclaration "n'avait rien de haineux". Il s'agissait, selon elle, de l'expression d'une crainte de se voir confronté.e à des personnes soutenant la politique israélienne de colonisation ou le massacre en cours à Gaza.

À Radio J, la podcasteuse qualifie cette phrase "d'extrêmement méchante" et raconte avoir ressenti de la "sidération" bien qu'elle ne sache "pas dire" si cette phrase lui était destinée. Sûrement parce qu'elle fait écho à des accusations dont elle est victime depuis le 7 Octobre, et que le dévoiement du terme "sioniste" sert parfois à cacher de l'antisémitisme. Quoi qu'il en soit, cette anecdote, tout comme le "sioniste d'extrême droite", participent à étayer la thèse d'une cabale antisémite.

Un récit médiatique contesté

Concernant le déroulé de cette soirée de clôture, la version des personnes accusées et celle de Julia Layani divergent une fois de plus. L'absence de réponse au mail ? Une volonté de "lui parler de vive voix" afin d'"exprimer leurs désaccords politiques". L'un.e des signataires insiste auprès d'ASI sur le fait qu'une demande de "médiation" avait été initialement faite auprès de la direction (et refusée), justement pour créer les conditions d'un échange avec la podcasteuse. La lecture d'un texte "politique" en fin de festival était d'ailleurs le fruit du compromis trouvé avec la direction qui leur avait refusé l'éviction de la podcasteuse. Le soir de l'incident, cette dernière serait arrivée en retard, après le début de la cérémonie, et le moment d'échange souhaité n'aurait pas pu se tenir. C'est dans la précipitation, qu'un.e juré.e - avec qui ASI a pu s'entretenir - est allé.e lui parler. Layani, elle, dit avoir été "sortie de [son] groupe d'amies qui étaient là pour [la] protéger si quelque chose tournait mal" et l'avoir vécu comme une intimidation alors que c'est pourtant une personne du festival qui les a réuni.e.s toustes les deux à l'extérieur de la salle avant de les laisser seul.e.s. 

"Il me dit que le groupe n'a pas validé ma phrase. Le groupe ne veut pas ajouter au texte les otages Israéliens", détaille l'animatrice de podcast, donnant l'impression d'un refus sur le fond. Mais son interlocuteur.ice l'assure, c'est "juste" un refus faute de pouvoir faire valider "toustes les concerné.es (juges cinéastes signataires et organisation du festival)". Dans une "réponse collective"publiée le 30 novembre sur un compte créé pour l'occasion, des membre du jury signataires reconnaissent une maladresse sur ce point : "À aucun moment il n'a été question de nier l'horreur de la situation des otages israéliens - nous aurions dû en faire mention dans notre texte"Un.e autre signataire précise auprès d'ASI "la question des otages, c'est un détail ça n'a jamais été la raison de notre décision [de ne pas monter avec elle sur scène ndlr.]", et d'ajouter "c'est pour des raisons politiques qu'on n'a pas voulu qu'elle monte avec nous". 

"On ne l'a jamais empêchéE" de parler"

Voyant la tension monter, l'interlocuteur.ice de Julia Layani lui propose de remettre à plus tard cette discussion afin de lui expliquer ces fameuses raisons. Elle refusera, furieuse, les accusant d'antisémitisme et d'être des fascistes. Ils et elles seront ensuite interrompu·es, l'autre jury étant appelé pour la lecture du fameux texte. Cette personne confie à ASI avoir également très mal vécu cet échange et les accusations proférées par la podcasteuse, alors qu'iel venait de l'inviter à "faire sa prise de parole indépendamment de la [leur]". "On l'a jamais empêchée de parler, on l'a pas censurée, personne ne lui a dit : « Tu ne montes pas sur scène et tu ne parles pas »", tempête un.e autre signataire, arguant qu'ils et elles n'étaient pas en position d'interdire à qui que ce soit de monter ou pas sur scène et d'y prendre la parole. 

Le récit médiatique est pourtant unanime : "Julia Layani s'est vue interdite de monter sur scène avec les autres membres du jury" écrit The Times of Israël. "Empêchée de se joindre à cette démarche car elle souhaitait faire mention des otages israéliens retenus par le Hamas" abonde Têtu. Toujours sans contradictoire.

Le discours lu ce soir-là n'est d'ailleurs pas uniquement un "discours de soutien à Gaza" contrairement à ce qu'affirment Les Inrocks et d'autres. Les personnes sur scène (qui ne ne faisaient pas toustes partie des 12 signataires de la tribune réclamant l'éviction de Julia Layani) évoquent "le génocide à Gaza" mais aussi "l'invasion du Liban", "la lutte courageuse des femmes iraniennes contre un régime oppressif" ainsi que "la banalisation [des idées de l’extrême droite] notamment en France"Le Point observe pourtant que "le mot antisémitisme n'est à aucun moment mentionné au fil des vingt lignes de l'appel" et conclut que la "cause" n'est "manifestement pas prioritaire". Le texte stipule pourtant que "toutes les formes d'oppression" sont à combattre, mais pointer l'absence du mot "antisémitisme" permet d'appuyer, une fois encore, la thèse d'une "cabale antisémite".

"On n'est pas obligé.e.s de s'afficher sur scène avec des personnes, avec qui on a des différenDs politiques!"

Les signataires sont unanimes : ce refus de s'afficher avec Layani, "c'est pour ne pas être affiliés à ce qu'elle dit sur Caroline Fourest". "Dans quel monde vit-on si on ne peut pas recevoir des gens pour dialoguer dans son podcast ?" s'indigne Julia Layani auprès de Têtu laissant penser que c'est l'invitation en tant que telle de la directrice de Franc-Tireur dans son podcast Conversation avant la fin du monde qui est en cause. Mais dans le mail originel adressé le 5 novembre à la direction du festival (qu'ASI a pu consulter), les 12 signataires lui reprochent de véhiculer des "valeurs qui ne sont pas en phase avec celles portées par la communauté LGBTQIA+". Ils s'appuient sur les déclarations de Layani qui affirme être "de la gauche de Caroline Fourest"

Sauf que pour ces artistes signataires, Fourest est non seulement "de droite pure et dure" mais aussi "connue pour promouvoir une vision de la laïcité qui masque une islamophobie persistante", ainsi que pour "ses prises de position polémiques sur le génocide palestinien, où elle hiérarchise explicitement les pertes humaines palestiniennes et israéliennes". Ils y dénoncent également "ses positions abolitionnistes concernant le travail du sexe". 

Dans la vidéo diffusée par Julia Layani, l'un.e de ses amies rétorque à quelqu'un dans le public qu'elle ne soutient pas Fourest mais qu'elle l'a juste interviewée. Pourtant, les 54 minutes d'entretien ne laissent paraître aucun désaccord. Elle acquiesce à l'ensemble des propos de la directrice de Franc-Tireur (dont Layani loue au passage aussi les qualités), avant de conclure : "J'ai adoré cette conversation et de toute façon je t'aime, je te suis à fond et tu es ma gauche". Une gauche qui semble aller jusqu'à Marlène Schiappa ou encore Yaël Braun-Pivet qu'elle n'hésite pas à qualifier d'"icônes" sur son compte Instagram.

Lui est également reproché le fait d'avoir invité Cyril Hanouna (dans l'un de ses podcast en 2022), ainsi qu'Éric Zemmour (dans son podcast Président.iel où tous les candidats étaient conviés à se prononcer sur les droits LGBTQIA+). "Pouvons-nous inviter en tant que juge dans un festival LGBTQIA+, une personne qui soutient des idées mettant en danger les personnes issues des minorités, largement représentées dans la sélection de films que le festival met en compétition ?" s'interroge un juré auprès d'ASI.

Un.e autre revendique ce choix : "On est jury bénévole, on le fait de bon coeur mais on n'est pas obligé.e.s de s'afficher sur scène avec des personnes avec qui on a des différends politiques!".

Des jurés bouleversés et harcelés

Aujourd'hui, les personnes signataires avec qui ASI s'est entretenu disent regretter que "cet événement ait pu laisser croire à une personne juive qu'elle n'est pas la bienvenue dans les espaces queer" et rappellent que leur engagement "s'inscrit dans un combat plus large contre toutes les oppressions" dont l'antisémitisme fait partie. "J'ai beaucoup d'ami.e.s juif.ve.s qui ont été blessées par tout ça, je me sens mal vis-à-vis d'eux, j'ai envie que la communauté juive queer comprenne nos intentions"se désole une jurée. 

Mais l'ampleur qu'a pris l'affaire et le traitement médiatique unilatéral les mettent également en colère. Celles et ceux avec qui nous nous sommes entretenus sont dépassés et bouleversés par la polémique qu'iels vivent comme "une grande injustice" : "ça a pris des proportions tellement absurdes, je trouve ça hallucinant !" souffle l'une de nos sources. Toutes et tous rappellent leur attachement au principal festival de cinéma LGBTQIA+ français dont ils louent unanimement l'importance, et déplorent cette issue: "L’idée de base, c'était vraiment de pas foutre le festival dans la merde mais de trouver des solutions pour que ça se passe bien !". Certain.e.s ont passé les jours suivants suspendus à leurs téléphones, incapables de travailler, scrollant inlassablement les articles de presse et les réseaux sociaux, quand d'autres en sont tombés littéralement malades. L'un.e d'eux qui n'est pas français.e et semble encore particulièrement marqué par l'épisode vu l'émotion de sa voix, confesse n'avoir pu lire aucun article de presse, tant sa "santé mentale" était "menacée" et dit avoir peur que cela n'affecte sa carrière en France.

"Mon nom et ma photo ont été brandis publiquement et accompagnés de l'accusation diffamatoire d'antisémitisme" nous raconte un.e membre du jury court-métrage qui se dit aussi victime d'"attaques homophobes". "J'ai passé tous mes comptes en privé" confie un.e autre qui aurait reçu des coups de fil suspects. Sur X, des comptes spécialisés dans la dénonciation publique et le doxxing (pratique illégale) ont partagé photo, âge et ville de certain.e.s jurés sans même savoir s'ils faisaient partie des douze, lançant pour le coup, une véritable cabale et entraînant dans leur sillages des dizaines de commentaires sexistes, grossophobes et homophobes. "J'ai vu des listes de noms avec le mien en tête suivis du message : « Voilà la liste des gens qui cherchent des juifs »", s'émeut un.e autre juré.e.

Parmi les plus exposé.e.s, Habibitch, performeuse et militante queer, membre du jury "Libertés Chéries". Sûrement parce qu'elle a écrit le premier mail envoyé au festival pour demander l'éviction de Julia Layani au nom des douze autres, mais certainement aussi parce qu'elle affiche haut et fort son soutien au peuple palestinien, massacré par l'armée israélienne depuis plus d'un an. "Il y a une seule personne derrière tout ça, qui est un peu la cheftaine de la meute et qui a émis des pressions sur ces douze personnes", assure Julia Layani à Radio J avant d'ajouter "elle va payer"Sur Europe 1, elle affirme qu’un.e des membres du jury signataire lui a confié avoir été "roulé dans la farine par une seule personne", ce qu'iel dément formellement auprès d'ASI : "Je suis juste allé.e la voir pour m'excuser et lui dire que j'étais bouleversé.e par ce qu'il s'était passé, par ce grand malentendu et par le fait qu’elle puisse s'être sentie exclue"

Une direction du festival "pas à la hauteur" ?

Le directeur artistique du festival, Grégory Tilhac, a de son côté accusé Habibitch dans une interview au Figaro, tout comme dans une story publiée le 30 novembre sur le compte Instagram du festival - dont la danseuse récuse les accusations. Le fait qu'elle fasse l'objet d'un violent harcèlement ne semble pas avoir freiné Grégory Tilhac qui ne pouvait l'ignorer puisqu'une petite dizaine de jurés signataires lui ont envoyé, selon nos informations, des mails pour le lui signifier. 

L'une d'elle nous a fait lire le sien, envoyé le 28 novembre. Elle y demande "une prise de parole pour demander une fin au harcèlement subi par les juges et cinéastes concerné.es, et rétablir la vérité quand au fait qu'il n'a jamais été question d'exclure quelqu'un pour sa confession", ainsi qu'"une protection suite au lynchage et à la diffamation que les juges et cinéastes sont en train de subir sur les réseaux". Comme les autres, il est resté sans réponse. 

Un comportement vécu comme un "coup de poignard", nous confie un.e juré.e et ce d'autant que la direction a "balancé [leurs] mails avec les noms à la presse"."Ils invitent des personnalités très politiques à la même table et enfouissent les problématiques que cela peut soulever", en faisant référence au refus de médiation pourtant demandé plusieurs fois par les signataires. 

"C'est très politique"

Comment expliquer ce positionnement ? "Pour laver leur honneur et récupérer les subventions, ils avaient besoin de nous attaquer publiquement mais en y réfléchissant, je me dis que c'est très politique", confie cette personne qui a pourtant oeuvré en coulisses pour qu'un dialogue soit possible. 

Auprès de Libé, Grégory Tilhac assume avoir voulu un "jury diversifié socialement, culturellement mais aussi en termes de sensibilités politiques" arguant que "[leurs] communautés sont plurielles". Et dans son communiqué du 30 novembre, la direction affirme que le festival "n'est et ne sera jamais un lieu pour la propagande politique partisane". Des déclarations qui ne passent pas pour l'un.e des signataires contacté.e, estimant que le comportement du festival n'est "pas à la hauteur"

Gwen Fauchois, activiste lesbienne de toujours et vice-présidente d'Act-up dans les années 90, livre son analyse à ASI. Elle y voit le spectre "des dispositifs de domestication de la vie associative mis en place par les pouvoirs publics" et constate que "le tissu associatif LGBT s'est globalement droitisé, inscrit dans une dépendance aux politiques et la recherche de respectabilité". Selon elle, le festival accepterait ainsi "de servir de caution de progressisme superficiel en échange de reconnaissance de miettes financières et de demi-mesures servant essentiellement aux plus favorisés socialement et à l’instrumentalisation de ces politiques contre d’autres minorités."Pour elle, cette "politique dite d'inclusivité" prenant la forme de "pseudo neutralité" est en réalité "racisée et socialement déterminée". À l'image, finalement, de ce qu'il se joue à l'échelle de la société tout entière ?

Contactée par ASI, Julia Layani n'a, pour l'heure, pas répondu à nos sollicitations. 

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