"voiture de police incendiée" : tensions autour d'images d'un journaliste

Juliette Gramaglia - - 0 commentaires

Huées et insultes pour un journaliste. Selon Buzzfeed, des militants présents lors du procès dit de la "voiture de police incendiée" ont accusé le journaliste Thierry Vincent d'être une "balance" et d'avoir mis en difficulté des prévenus. La raison : des rushes d'un de ses reportages ont été diffusés lors du procès, qui s'est tenu la semaine dernière. Mais Thierry Vincent, ainsi que l'avocat Me Jérémie Assous, réfutent ces accusations.

Tensions autour du procès dit de la "voiture de police incendiée". D'après le site Buzzfeed, le journaliste Thierry Vincent a été "hué et insulté à la sortie du palais de justice" de Paris la semaine dernière, en marge du procès sur l'incendie d'une voiture de police quai de Valmy. Il aurait également été "violemment frappé au visage" lors de la manifestation du 21 septembre dernier. Buzzfeed, citant le journaliste, évoque "un coup de poing au visage". Vincent raconte à @si avoir été reconnu, puis pris à partie par quelques manifestants du cortège de tête, pendant que d'autres s'interposaient. Il explique : "Je n'avais jamais senti ça avant dans les manifestations. Là, c'est très tendu, avec le procès et la place qu'ont eues les images dans ce procès."

Pour rappel, le 18 mai 2016, en pleine contestation de la loi El Khomri, une manifestation spontanée autour de la place de la République dégénère : des manifestants s'en prennent à une voiture de police isolée quai de Valmy. L'un des huit prévenus qui comparaissait la semaine dernière, Antonin Bernanos, est soupçonné, sur la base de vidéos et d'un témoignage anonyme, d'avoir frappé le policier au volant à travers la vitre de la voiture. Sur les images, très médiatisées après l'agression, on ne voit qu'un individu cagoulé, en jean, k-way et baskets noires. Le témoignage, anonyme, se révèle être celui d'un policier de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, qui l'incrimine. Bernanos, qui nie les fait qui lui sont attribués, est poursuivi pour "violences aggravées sur policiers en réunion".

Image extraite d'une vidéo prise par un témoin

C'est justement autour des nombreuses vidéos diffusées lors du procès que se sont cristallisées certaines tensions. Selon le journaliste de Buzzfeed, David Perrotin,"on reproche [au journaliste Thierry Vincent] d'avoir accepté de donner à la justice des rushes de la scène de la voiture de police incendiée qu'il a pu filmer pour France 2". Contacté par @si, Vincent raconte : "C'était tendu, il y avait une hostilité générale [envers les journalistes]. Certains ont crié «Thierry Vincent est une poucave» [balance, ndlr]".

Les reproches contre Thierry Vincent ne datent semble-t-il pas d'hier. Perrotin renvoie ainsi, dans son article, à un texte datant d'avant le procès. En mars 2017, après la diffusion d'un reportage d'Envoyé Spécial réalisé par Thierry Vincent sur les "casseurs", un texte publié sur le site Paris-Luttes.info et repris sur plusieurs sites d'extrême gauche s'en prenait à Vincent et à sa "connivence" avec des mouvements comme le collectif antifasciste et anticapitaliste MILI (Mouvement d'Inter Luttes Indépendant), plus ouverts à la discussion avec les journalistes - ce que Paris-Luttes.info reproche dans son texte, anonyme. "Nombreux sont celles et ceux qui savent que cette même connivence a permis que les images de Thierry Vincent se retrouvent dans le dossier d'instruction de l'affaire du 18 mai [l'incendie du quai de Valmy, ndlr]", peut-on y lire. Le texte accusait le journaliste de "participe[r] de l'immense farce médiatique consistant à renforcer encore un peu plus le discours policier".

Image diffusée dans Envoyé Spécial, filmée par Thierry Vincent

Les rushes filmés par Thierry Vincent de cette agression ont bien été versés au dossier. Auprès de Buzzfeed, le journaliste raconte : "Me Levy, l'avocat initial d'Antonin B. (il a été remplacé par Me Arié Alimi depuis, ndlr) m'a demandé de lui donner les rushes de mes images tournées ce jour-là. Il pensait que cela pouvait disculper son client". Contacté par @si, Vincent précise : "Les avocats m'ont dit qu'ils avaient vérifié que ça ne mettait pas en danger qui que ce soit". Il assure également que des proches d'Antonin Bernanos ont donné leur accord pour que ses rushes soient versés au dossier - et deviennent donc accessibles à toutes les parties, l'accusation comme la défense.

Mais selon Buzzfeed "une rumeur parmi les militants et les soutiens des prévenus du quai de Valmy a enflé au fil des audiences : la vidéo de Thierry Vincent aurait permis au parquet de mettre en cause d'autres personnes parmi les huit prévenus présents au procès". Une rumeur, sortie d'on ne sait où, et qu'évoque également Thierry Vincent. Contacté par @si, Me Jérémie Assous, qui défendait au départ Antonin Bernanos, et a défendu lors des audiences un autre prévenu, Bryan M., la conteste formellement : "La vidéo de Thierry Vincent n'est à l'origine d'aucune arrestation. Elle n'a absolument pas conduit de manière directe ou indirecte à l'incrimination de quiconque."

Au contraire, assure-t-il, les images fournies par le journaliste ont permis de "prouver que la construction intellectuelle de l'accusation, entérinée par les juges d'instruction, était totalement scandaleuse et d'une particulière mauvaise foi". Selon l'avocat, elles ont également servi à disculper un autre prévenu, Bryan M. Me Assous vise le témoignage "anonyme" qui a servi à arrêter quatre des prévenus - et dont on sait depuis longtemps qu'il a été donné par un policier. Ce dernier affirme notamment avoir vu plusieurs prévenus, dont Bryan M., s'habiller en noir avant d'emprunter une rue menant au quai de Valmy. "On a démontré grâce aux images de Thierry Vincent que Bryan M., qui est très grand et brun, avait un polo rouge du début de la rue jusqu'au bout", explique l'avocat .

La décision de justice sera rendue le 11 octobre prochain.

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