Vente de la chaîne N° 23 : trafic de fréquences audiovisuelles (Mediapart)
Anne-Sophie Jacques - - 0 commentairesLa revente de la chaîne Numéro 23, un scandaleux trafic de fréquences audiovisuelles ? Dans un article publié hier, le journaliste de Mediapart Laurent Mauduit revient sur les conditions de revente de cette chaîne de la TNT, obtenue gracieusement par Pascal Houzelot en juillet 2012, au groupe NextRadioTV, lui-même bientôt dans l’escarcelle de Patrick Drahi, patron de Numericable, SFR, et aussi Libération ou L’Express-L’Expansion. Une culbute de 88 millions d’euros qui n’attend que le feu vert du CSA. A noter également ce précédent : la revente en 2011 par Vincent Bolloré de ses deux chaînes de la TNT avec là encore une belle plus-value et un tremplin in fine vers l’acquisition de Canal+.
"Imagine-t-on qu’un investisseur puisse obtenir à titre gratuit, avec la bénédiction de la puissance publique, une fréquence audiovisuelle et la revendre moins de trois ans plus tard pour 88,5 millions d’euros ?" Ainsi s’ouvre une longue synthèse de Mediapartsignée Laurent Mauduit. Le journaliste revient d'abord sur les conditions d’attribution en juillet 2012 de cette chaîne à Pascal Houzelot, ancien membre du cabinet de Jacques Chirac, passé ensuite par TF1 avant de créer la chaîne gay PinkTV.
L’attribution de ce canal à titre gracieux – parmi les six que le CSA devait alors attribuer – reflète, pour Mauduit, "les chausse-trappes, intrigues, conflits d’intérêts et autres réseaux d’influence qui faussent la compétition" : en effet, quand Houzelot vient défendre en 2012 son projet de chaîne sur la diversité – baptisée initialement TVous – il est notamment soutenu par David Kessler, "directeur général du magazine Les Inrockuptibles, propriété du patron de la banque Lazard et coactionnaire du journal Le Monde, Matthieu Pigasse". Kessler "deviendra, à peine deux mois plus tard, conseiller pour les médias et la communication du chef de l’État". A cette époque, il est même question que France 24 fournisse quelques heures d’émissions pour TVous… un drôle de conflit d’intérêt pointé par Le canard enchaînécomme nous le racontions ici. Le projet sera finalement abandonné et la chaîne produira elle-même ses programmes sur la diversité.
Comme nous le concluions dans notre enquête consacrée à Numéro 23, Mauduit assure que "cette histoire de diversité n’est qu’une duperie imaginée par Pascal Houzelot. Un moyen pour obtenir à titre gracieux un canal de la TNT, le conserver pendant les deux ans et demi que la loi impose quasiment sans embaucher ni investir, et la revendre sitôt passé ce délai, deux ans et neuf mois après, en réalisant la plus formidable des plus-values possibles". En effet, Houzelot a revendu sa chaîne en avril dernier au groupe NextRadioTV dirigé par Alain Weil pour 88 millions d’euros dont plus de la moitié en cash et l’autre sous la forme d’actions du groupe de Weil. Lequel est en passe d’être racheté par Patrick Drahi, nouveau magnat des médias à la tête de Libération, L’Express-L’Expansion ou encore de la chaîne israélienne I24News. Et bientôt donc de Numéro 23. Vous suivez ?
Le précédent Bolloré
Cela dit, Numéro 23 n’est toujours pas vendu : il faut encore que le CSA consente à l’opération. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel devrait se prononcer à partir de la mi-septembre. Pour l’instant, peu de pistes permettent de supputer que le CSA mette son veto puisque la loi autorise bien la vente des chaînes après deux ans et demi de possession. Une aubaine qui a déjà bénéficié à Vincent Bolloré comme le souligne Mauduit : en 2011, quand ce dernier "cède 60 % des deux chaînes de la TNT qu’il contrôle, Direct Star et Direct 8, il réalise une affaire en or. Direct Star, c’est l’ex-Virgin 17, qu’il a racheté au groupe Lagardère quelque 70 millions d’euros et qu’il rétrocède à Canal, pour près de 130 millions d’euros. Et Direct 8, il l’a obtenue gracieusement, au terme d’une autorisation que le CSA lui a accordée le 23 octobre 2002". Bolloré engrange alors "une plus-value exorbitante en spéculant sur la TNT, grâce à laquelle il peut monter au capital du groupe Vivendi et, par ricochet, devenir le véritable patron de sa filiale, le groupe Canal+". Chaîne sur laquelle il a commencé à prendre le contrôle éditorial comme nous le racontions ici.
Enfin, Mauduit, par ailleurs ancien journaliste du Monde, rappelle que pour constituer sa holding, Houzelot s’est entouré "des plus grandes fortunes de France" dont "Xavier Niel (patron du groupe Iliad-Free, et autre coactionnaire du journal Le Monde) et son compère en aventure dans la vie des affaires et celle de la presse Matthieu Pigasse". Une alliance qui explique le traitement d’une "invraisemblable complaisance" de la part du quotidien, dixit Mauduit. Le journaliste reprend en cela les reproches formulés par Didier Maïsto, candidat malheureux à l’attribution des six canaux de la TNT en 2012 – et donc forcément un peu amer. A lire les articles du Monde cependant, le traitement est davantage factuel que complaisant même si le journaliste qui couvre le dossier peine à souligner les différentes accointances. Tout juste saura-t-on que Houzelot est un "ancien lobbyiste de TF1 et homme de réseaux".