Tafta / report : "victoire mobilisation citoyenne" (ATTAC)
Anne-Sophie Jacques - - 0 commentairesLe projet de traité transatlantique – dit aussi TTIP ou TAFTA – entre l’Europe et les Etats-Unis sera-t-il voté un jour ? Suite à la décision prise hier par le président du Parlement Européen, Martin Schulz, de reporter le vote consultatif sur ce projet, certains pronostiquent un début de la fin du traité en chantier. D'autres regrettent l’impossible émergence d’une alternative aux politiques menées par les dirigeants sociaux-démocrates et conservateurs à Bruxelles.
On appelle ça une patate chaude. Le projet de traité transatlantique entre l’Europe et les Etats-Unis – dit aussi TTIP ou TAFTA pour ses adversaires et qui fut l’objet d’une émission d’@si – est en souffrance. Comme le résume Ludovic Lamant, journaliste de Mediapart basé à Bruxelles, alors que la Commission "commerce international" du Parlement européen s’est prononcée en faveur du projet le 28 mai dernier, le vote consultatif sur ce TTIP en chantier prévu aujourd’hui a pourtant été ajourné par le président du Parlement Martin Schulz.
Pourquoi cet ajournement ? Officiellement, en vertu d’un article du règlement qui permet de reporter le vote en séance plénière d’un texte si ce dernier compte plus de cinquante amendements. Or le projet de traité fait l’objet de plus de 200 amendements. Ce qui nous conduit à la raison officieuse : Schulz craindrait que le texte ne soit pas voté. En effet, afin d’obtenir une majorité au sein de la Commission, le rapporteur social-démocrate Bernd Lange avait accepté de retirer du texte la mention explicite d'une exclusion de l'ISDS, petit nom porté par le mécanisme d'arbitrage entre État et investisseur très contesté comme nous le racontions cet hiver.
Devant la montée des crispations, le mécanisme d’arbitrage prévu initialement a déjà pris du plomb dans l’aile. Il a même été revu et corrigé par le secrétaire d’État français au commerce extérieur, Mathias Fekl, qui a remis à la Commission européenne ses propositions le 2 juin dernier. Parmi les propositions de Fekl épluchées par le journaliste du Monde Maxime Vaudano qui s’est lancé dans le décryptage du TTIP sur un blog dédié : la mise en place d’une cour permanente d’arbitrage "amenée à trancher à terme tous les litiges d'investissements impliquant un Etat européen" en lieu et place d'un arbitrage privés comme le défend la droite européenne. Le secrétaire d’Etat propose également des garde-fous pour rééquilibrer le rapport de force entre les entreprises et les Etats, notamment des pénalités financières pour dissuader les "plaintes frivoles" de la part des entreprises, ou encore la mise en place d’un mécanisme réciproque. En effet, "les Etats pourraient eux aussi attaquer les investisseurs devant cette instance arbitrale, si ceux-ci n'ont «pas respecté les lois et règlements du pays»".
La volte-face des socialistes
Une avancée, certes, estime le collectif Stop Tafta cité par Vaudano "mais cela reste un ISDS, où l'on se préoccupe seulement des droits des investisseurs, mais pas de ceux des consommateurs ou de l'environnement". Au sein du Parlement européen, les Verts ou la gauche radicale sont aussi opposés à ces tribunaux d’arbitrage et font pression pour exclure ce mécanisme du projet. Peine perdue : comme le résume un lecteur du Monde dans le forum de l’article consacré à l’ajournement, "le rapport Lange qui devait être voté en plénière ne prône pas l'exclusion de l'ISDS, seulementsa réforme. Or, ce maintien de l'ISDS dans le rapport n'a été possible que grâce à la volte-face des socialistes lors du vote en commission. Du coup, les socialistes, dans la tourmente et accusés de vouloir préserver leur place dans la grande coalition plutôt que de garder leur ligne anti-ISDS, aux côtés des verts, risquaient de ne finalement plus voter le rapport en plénière."
Et c’est là que le bât blesse selon Lamant qui fustige cette grande coalition née suite aux élections européennes. À l'époque, écrit-il, "le candidat du parti socialiste européen n'est autre que Martin Schulz. Il va perdre, assez largement, face à un certain Jean-Claude Juncker. À peine battu, Schulz ne tarde pas à négocier avec la droite européenne cette « grande coalition » qui lui permet, dès juillet 2014, de rempiler à son poste de président du Parlement européen, malgré la défaite. […] Tout se passe comme si, depuis ce «deal» originel, Schulz n'avait cessé, un seul jour de son mandat, de se souvenir qu'il doit son poste à cette « grande coalition » bancale entre PPE et S&D". Un deal consternant selon le journaliste qui ajoute que, "toutes proportions gardées, l'affaire rappelle ce rouleau compresseur auquel doit faire face le gouvernement grec d'Alexis Tsipras, qui cherche à construire – sans y parvenir pour l'instant – une alternative au sein de l'UE aux politiques défendues de concert par les dirigeants sociaux-démocrates et conservateurs à Bruxelles".
Résultat : la décision de Schulz de reporter le vote pourtant consultatif est susceptible de radicaliser les positions des uns et des autres. Pour José Bové, cité par Le Monde, le TTIP risque de "s’éteindre de sa belle mort". Quant au collectif Attac, il estime que ce report constitue "une victoire pour la mobilisation citoyenne qui se développe partout en Europe depuis le lancement des négociations" qu’il souhaiterait voir tout simplement abandonnées.