Syrie : Youtube censure des vidéos d'exactions

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Des vidéos documentant les crimes du conflit syrien, confondues avec des vidéos de l'Etat Islamique, sont supprimées par Youtube. La nouvelle politique de modération de la plateforme, filiale de Google, pourrait ainsi faire disparaître des preuves nécessaires à la conduite de futurs procès sur les exactions commises pendant le conflit.

Comment distinguer une vidéo de propagande de l'Etat Islamique en Syrie et une vidéo d'exactions commises en Syrie aussi, par d'autres parties prenantes au conflit ? Le nouvel algorithme de Youtube, conçu pour supprimer les contenus de propagande à caractère violent, n'y parvient pas. Des vidéos d'observateurs ou d'organisations indépendantes basées en Syrie, mises en ligne pour documenter les crimes commis durant le conflit, sont supprimées par le réseau social. Un problème grave, alors que les vidéos amateur, sur un terrain depuis longtemps difficile d'accès aux journalistes, sont les principales sources d'information sur la répression et les exactions.

Jusqu'à récemment, Youtube se reposait sur ses utilisateurs et sur un réseau de modérateurs professionnels pour réguler ses contenus. Mais sous le feu des critiques, notamment dûes à la présence massive de contenus de propagande djihadiste en accès libre, Youtube a récemment mis en place une nouvelle technologie d'intelligence artificielle, basée sur le "machine learning". Cette technologie identifie les vidéos au contenu particulièrement violent, et liste celles qui doivent rapidement être examinées par un consultant humain. Youtube affirme que toutes les vidéos, tôt ou tard, passent par un examen humain. Mais la nouvelle technologie de modération peut aussi supprimer automatiquement certaines vidéos, et envoyer des avertissements aux créateurs de contenus.

sur syrian archive, 150.000 à 200.000 vidéos disparues

Airwars, organisation indépendante basée à Londres documentant les frappes aériennes et leurs conséquences sur les populations civiles, raconte ainsi au New York Times l'effet de l'arrivée soudaine de la nouvelle technologie : "Nous avons brusquement reçu de nulle part des dizaines d'e-mails se succédant, disant que nos vidéos archivées semblaient violer les termes et conditions de Youtube. Nous avons reçu un avertissement formel, comme quoi si nous avions encore deux violations avérées [de la politique de Youtube en matière de contenus], notre chaîne serait supprimée." Or, la technologie de Youtube identifie mal les contenus à problème : trois des vidéos de Airwars effacées de leur chaîne étaient des "captures aériennes de frappes, publiées par le Pentagone", selon le New York Times. Elles ne contenaient aucune image violente.

Le manager d'une agence de presse militante qui compte de nombreux correspondants en Syrie, "Qasioun News Agency", témoigne aussi avoir "reçu des avertissements pour toutes [ses] chaînes - anglaises, kurdes et arabes. (...) La chaîne en arabe avait le plus d'abonnés et a été complètement effacée." Plus de 6000 vidéos portant sur le conflit, engrangées depuis 2014, auraient ainsi été rendues temporairement inaccessibles.

Le travail d'archive assuré par les activistes syriens, pour engranger des preuves des exactions commises pendant le conflit -alors que les journalistes n'ont depuis longtemps plus accès au terrain dans des conditions convenables-, et porter leurs auteurs devant la justice lorsqu'il sera terminé, est ainsi gravement mis en danger. Le site Syrian Archive, conçu précisément pour cataloguer et consigner des preuves des atrocités commises depuis 2012 en Syrie, a vu "entre 150 000 et 200 000 vidéos disparaître depuis juillet", selon un témoignage recueilli par France 24. Et tandis que les grosses organisations de défense des droits de l'homme jouissent du support technologique pour télécharger et sauvegarder ces vidéos sur des supports extérieurs, les petits observateurs indépendants, eux, n'ont parfois que Youtube.

L'entreprise assure que l'intelligence artificielle de la nouvelle technologie de filtre va s'améliorer avec le temps et le nombre de vidéos analysées. Elle a aussi garanti que les comptes ou vidéos supprimées injustement sont rapidement remises en ligne, dès que ses équipes en sont averties.

L'occasion de consulter notre dossier : "Syrie, guerre à huis clos".

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