Samuel Paty : et la folie fermenta sur les réseaux sociaux

La rédaction - - Pédagogie & éducation - 331 commentaires

Un professeur d’histoire et géographie de 47 ans, Samuel Paty, a été décapité le 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) devant le collège Bois d’Aulne, où il exerçait. L’assassin portait sur lui des documents d'identité au nom d’un homme de 18 ans né à Moscou et d’origine tchétchène. Il avait posté sur Twitter une photo de la tête décapitée de l’enseignant. Il a été abattu par la police. Le 5 octobre, Samuel Paty avait discuté devant une classe de 4e des caricatures de Mahomet, après avoir demandé à ses élèves musulmans de quitter la salle s’ils le souhaitaient. Au moins un parent d’élève avait protesté sur les réseaux sociaux.

Comment, d’un incident dans une classe de 4e d’un collège des Yvelines, en arrive-t-on à la décapitation d’un professeur, et à une vague de sidération et d’indignation équivalent à celle qui avait suivi les attentats de Charlie et de l’Hypercasher ? Dans une prise de parole, vendredi soir, devant le collège du Bois d’Aulne, Emmanuel Macron a évoqué des "pressions" sur la principale. L'enquête menée par le Parquet national antiterroriste, qui s'est immédiatement saisi - la police a rapporté avoir entendu des cris "Allahou Akhbar"-, devrait faire la lumière sur les dix jours qui séparent le cours de l'assassinat. Relayée par les réseaux sociaux, la réaction d’indignation, en vidéo, d’(au moins) un père d’élève semble y avoir joué un rôle mobilisateur. Dès vendredi soir, des comptes d’extrême droite exhumaient ces vidéos, dont nous avons choisi de citer de larges extraits, sans les embedder.

Une première vidéo est postée le 8 octobre sur la page Facebook de Brahim Chnina, père d’une élève. Il y apparaît le visage recouvert d'un masque chirurgical. “J’ai décidé de faire cette vidéo pour vous dire en face que ma fille a été choquée par le comportement de son prof. Je ne veux même pas employer le mot prof, c’est un voyou. Un voyou d’histoire qui est censé leur apprendre l’histoire et la géographie. Cette semaine il s’est permis de leur dire “les élèves musulmans lèvent la main”. Ils ont levé la main. Et il leur a dit voilà vous sortez. Ma fille a refusé de sortir en lui demandant pourquoi. Il a dit qu’il allait diffuser une photo qui allait les choquer. Certains élèves sont sortis, ma fille n’est pas sortie. Effectivement il a montré un homme tout nu, en leur disant c’est le prophète (pause). Quel est le message qu’il a voulu passer à ces enfants, quelle est la haine ? Pourquoi cette haine, pourquoi un prof d’histoire se comporte comme ça avec des élèves de 13 ans. (...) Et à mon avis il se comporte comme ça depuis des années. Alors tous ceux qui ne sont pas d’accord avec ces comportements, ou alors tous ceux qui ont rencontré des difficultés où leurs enfants ont été renvoyés parce que ma fille elle a été renvoyée de la classe parce qu’elle n’a pas voulu sortir, le prof il l’a renvoyée en lui mettant un autre motif. Si vous voulez qu’on soit ensemble et qu’on dise stop, touchez pas à nos enfants, envoyez moi un message au 06 XX XX XX XX, ce voyou ne doit plus rester dans l’éducation nationale, il ne doit plus éduquer des enfants il doit aller s’éduquer lui-même. Merci de partager un maximum, je pense que vous êtes tous concernés.” Partagée 182 fois à la date du 16 octobre, cette vidéo n’a pas un retentissement immense. Brahim Chnina a fait en tout huit publications sur le sujet depuis le 7 octobre, dont la dernière, une republication de son live, vendredi à 15 h 04.

Quatre jours plus tard, cette vidéo se retrouve incluse dans une vidéo plus large, que partage Brahim Chichna le 12 octobre. Cette nouvelle vidéo est commentée par Abdelhakim Sefrioui, se présentant comme membre du bureau du Conseil des imams de France.

“Nous sommes devant le collège Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, là où l’abject a encore eu lieu, commence Sefrioui. Nous avons assisté cette semaine à la réponse d’un voyou qui est enseignant à cet appel de M. le président de la République à haïr les musulmans, à combattre les musulmans, à stigmatiser les musulmans.” Sefrioui affirme attendre depuis 45 minutes un rendez-vous avec la principale du collège.

Au cours de cette attente, Sefrioui interroge la jeune Zaina, la fille de Brahim Chichna, qui livre une version différente de celle de son père, l'invitation de l'enseignant à sortir de la salle étant cette fois présentée comme une simple proposition : "On était en train de faire un cours sur l’islam, il a dit les musulmans levez la main. Avec une copine de ma classe on n’a pas compris mais on a levé notre main, il a dit "là je vais montrer une image, vous allez peut-être être choqués donc vous pouvez sortir du cours". Du coup on a dit on est comme tout le monde, donc on veut voir comme tout le monde la photo que vous allez montrer, du coup moi j’ai refusé de sortir du cours, il a montré la photo, c’est le prophète Mohammed sans vêtements, il nous l’a montrée comme ça. Dans la classe on a tous été choqués, même ceux qui étaient pas musulmans ils ont tous été choqués, on a tous été choqués et on est partis voir la CPE." Interrogée par Sefrioui, Zaina poursuit : "Ils nous respectent pas, pour eux on n'est pas égal à eux, comme eux. Comme je me suis exprimée, il a dit que je dérangeais son cours donc il m’a exclue de l’école deux jours." À noter que la teneur de son témoignage est retranscrite d'une façon conforme au récit de son père, mais déformée par rapport à la version de l'adolescente, dans un texte en surimpression de la vidéo : "Il leur demande alors de sortir du cours car il allait montrer une image qui risquait de les choquer !!!"

Inspection académique "étonnée"

Sefrioui prend ensuite la parole, pour raconter le rendez-vous avec la principale et la CPE. Après avoir invoqué un "manque de respect, à la base, de le laisser attendre une heure dans le froid et le vent", il poursuit : "On a expliqué la gravité de la chose mais ça n’avait pas l’air de choquer autrement la principale, ni la CPE. Apparemment elles étaient au courant, et que ça se faisait depuis 5-6 ans. Ça fait 5-6 ans que des enfants de 12-13 ans, des musulmans (...) et ça ne pose aucun problème. Nous avons exprimé notre désaccord, et notre stupéfaction, de savoir que l’administration pouvait savoir ça et le tolérer, d’ailleurs on nous a dit même que c’était sur le site du programme de l’école. Donc on lui a fait savoir une chose, c’est que nous, Conseil des Imams de France, et les musulmans de France, refusent catégoriquement ce genre de comportements irresponsables et agressifs et qui ne respectent pas le droit de ces enfants à garder leur intégrité psychologique. Donc on a dit qu’on exigeait la suspension immédiate de ce voyou parce que c’était pas un enseignant. Un enseignant c’est autre chose, c’est une fonction qui a beaucoup de noblesse et c’est le cas d’une bonne partie des enseignants qui respectent leur travail. (...) Elle nous a fait savoir qu’elle allait remonter l’information. Effectivement, (...) dans l’après-midi, l’inspection académique a contacté le parent d’élève, et lui a exprimé aussi son étonnement de savoir que ça s’est passé comme ça dans le cours de ce voyou, et qu’ils allaient sévir, qu’il allaient vraiment s’activer dans ce sens-là et qu’ils allaient envoyer des inspecteurs voir ce voyou." 

"Nous nous attendons dans les jours à venir des décisions de l’inspection académique, conclut Sefrioui, qui ajoute : "Zaina n’a pas osé parler à ses parents le premier jour, parce qu’elle avait honte de parler, elle se sentait même coupable d’avoir vu cette image, c’est dire à quel point ils infligent à ces enfants de 13 ans une violence psychologique".

Qui est Abdelhakim Sefrioui ?

Qui est Abdelhakim Sefrioui ? Se présentant comme membre du bureau du Conseil des imams de France, par ailleurs fondateur d’un "collectif Cheikh Yassine", du nom d’un dirigeant du Hamas tué en 2004, il était à la tête d’un groupe de manifestants ayant fait intrusion, en 2010, dans la mosquée de Drancy, où prêchait alors Hassen Chalghoumi, imam favorable au dialogue entre les religions, qui avait pris position en faveur d’une loi proscrivant la burqa dans l’espace public.

La Grande mosquée de Pantin, mise en cause par plusieurs comptes d’extrême droite pour avoir partagé la vidéo de Brahim Chichna, a exprimé samedi son "horreur et son effroi" après la décapitation de Samuel Paty, affirmant que “l’Islam et son enseignement réprouvent catégoriquement de tels actes”. Elle semble avoir supprimé cette vidéo dans la nuit.

"Un prof très aimable"

D’autres familles d’élèves ayant assisté à ce cours ont eu une réaction toute différente. "Il a fait ça pour préserver les enfants, pour pas les choquer, a expliqué un père vendredi soir, interrogé par le journaliste indépendant Clément Lanot. Mon fils, qui est musulman, a compris directement que c’était pas pour discriminer, que c’était par gentillesse. Il m’a dit que c’était un prof très aimable, pas islamophobe ou quoi que ce soit".

À noter que sur CNews, le dirigeant RN Jean Messiha a donné lecture du post d’une soi-disant collègue de Paty, accusant les enseignants de l’établissement de ne pas l’avoir soutenu tout au long de ces dix jours. À l’heure où nous écrivons, rien n’authentifie ce post.

Mise à jour à 16h10 :

Le procureur général du parquet national antiterroriste Jean-François Ricard s'est exprimé aujourd'hui samedi 17 octobre à 15 h. Révélant l'identité de l'assaillant, Abdoullakh Abouyezidvitch A., de nationalité russe et d'origine tchétchène, présent en France avec le statut de réfugié et inconnu des services de renseignement, il a également expliqué que le père d'élève, Brahim Chnina, avait porté plainte pour "diffusion d'images pornographiques" contre Samuel Paty. Auditionné dans le cadre de l'enquête, le professeur avait contesté avoir demandé aux élèves musulmans de sortir, indiquant avoir proposé aux élèves de ne pas regarder les dessins. Il avait alors transmis le support de son cours sur les limites de la liberté d'expression aux enquêteurs, lequel présentait deux caricatures de Charlie Hebdo : la Une du numéro des survivants, "Tout est pardonné", et un dessin initialement paru dans les pages intérieures du journal, "Mahomet : une étoile est née". Samuel Paty avait porté plainte contre le père d'élève pour diffamation. Brahim Chnina, interpellé ce matin, a été placé en garde à vue, ainsi que six membres de l'entourage de l'assaillant, qui vivait à Évreux.

Mise à jour à 18h30

L'AFP confirme l'arrestation d'Abdelhakim Sefrioui. Neuf personnes sont actuellement en garde à vue.

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