Rima Hassan et la Flottille de la liberté : les médias restent à quai

Alizée Vincent - - Intox & infaux - 76 commentaires

Une seule interview en longueur de la députée européenne, réalisée par un influenceur

L'expédition organisée par la Flottille pour la Liberté, en route vers Gaza avec à son bord Rima Hassan et Greta Thunberg, a suscité l'indignation de nombreux médias. En particulier dans les éditos de journalistes de droite ou d'extrême droite. Des critiques souvent nourries par des inexactitudes ou des failles déontologiques. Et ce constat d'échec pour une grande partie de la profession : à une exception près, seul un influenceur a longuement confronté Rima Hassan aux critiques qui la concernent.

"Rima et Greta sont sur un bateau. Ça pourrait être le début d'une blague mais ça n'est pas drôle, c'est la réalité." La Flottille pour la Liberté, ne plaît manifestement pas à Eugénie Bastié. Ce navire-"humanitaire" (nommé le Madleen), géré par une ONG, a quitté l'Italie le 1er juin en direction de Gaza, avec à son bord un équipage de 12 personnes, parmi lesquelles l'eurodéputée LFI Rima Hassan et la militante écologiste Greta Thunberg. La journaliste du Figaro y a dédié sa chronique pour Europe 1 ce mercredi 4 juin. L'opération est une "mise en scène narcissique" "la cause humanitaire sert de décor aux égos d'influenceurs Instagram", a encore taclé Eugénie Bastié. 

Comme elle, plusieurs journalistes se sont déchaîné·es contre cette initiative, sur RTL ou CNews en passant par Sud Radio ou LCI. Des critiques particulièrement ironiques, parfois menées à partir de fake news et sans contradictoire. D'après nos recherches, seulement deux médias ont permis à des membres de l'équipage de répondre longuement aux mises en cause et critiques qui leur sont adressées. L'une de ces interviews a été menée sur BFMTV. L'autre se trouve sur la chaîne youtube du sulfureux influenceur Sam Zirah


"La croisière s'amuse"

Pour décrire l'initiative, Sud Radio parle des "vacances de Rima Hassan". L'eurodéputée et "son amie" Greta Thunberg "s'éclatent bien" en buvant du "jus d'ananas". La plupart rappellent que la flottille a pour but d'ouvrir un corridor humanitaire à Gaza, d'amener des vivres et de réclamer la levée du blocus. Elle n'en resterait pas moins un"foutage de gueule", selon le journaliste politique Alex Darmon. Une"parodie de mission humanitaire", pour le journaliste du Point Etienne Gernelle, sur RTL. Un bandeau sur LCI (relevé par Quotidien) s'indigne : "NON AU COUP DE COM SUR LE DOS DES GAZAOUIS !". C'est le sujet de la chronique 60 secondes pour convaincre du grand reporter Thomas Misrachi.

Pour l'instant, ajoute CNews le 4 juin, "ce très beau voilier d'ailleurs - on les envierait presque - fait une croisière en Méditerranée", où l'on mange "des crevettes". Le journaliste qui parle est Paul Sugy, du Figaro, par ailleurs éditorialiste sur la chaîne d'info d'extrême droite. Il poursuit, très affirmatif : "ces militants se moquent de Gaza et des Palestiniens, ils veulent surtout redire leur haine d'Israël". La chaîne a réitéré les critiques à plusieurs reprises et pendant plusieurs jours. Contacté par Arrêt sur images, CNews n'a pas donné suite à nos demandes d'interviews. Parmi les autres arguments qui reviennent, pour critiquer la flottille : le fait que les militant·es à bord ne se soient pas autant mobilisé·es pour d'autres crises humanitaires (comme "le nettoyage ethnique en Éthiopie", cite Eugénie Bastié) ; le fait que le volume de denrées apportées par le bateau soit dérisoire (250kg de riz, 100kg de farine, 600 couches, ainsi que des produits d’hygiène et fournitures médicales limitées) ; la mise en scène, la communication offensive opérée par les militantes (selon Christophe Barbier par exemple) ; le fait que le bateau ait peu de chance d'accoster à Gaza ; ou encore, que l'équipage ne soit pas composé de personnes pertinentes, comme des médecins. 

Ailleurs - sur le Figaro, Libération, l'Huma, Mediapart, Marianne, le Nouvel Obs, laProvence ou BFMTV, à plusieurs reprises - on trouve des sujets plus factuels, sur l'objectif de la mission ou les premiers jours de l'expédition. 

Infos oubliées et erreur factuelle

La couverture médiatique de cette expédition pose plusieurs problèmes. Le premier : tous les articles et contenus publiés sur l'expédition ne rappellent pas un élément important de sa génèse. À savoir, le sort de la précédente Flottille pour la Liberté. Nommé le Conscience, ce bateau avait été attaqué au large de Malte, début mai 2025. Sa coque avait été percée. Aucun des 30 membres de l'équipage n'avait été blessé, mais la mission avait dû être avortée. D'après l'ONG à la tête du projet, les tirs auraient été lancés par des drones israéliens. Autant d'éléments importants pour comprendre comment la nouvelle opération a été pensée. Rima Hassan a expliqué, dans l'interview de Sam Zirah : "C'est aussi pour ça que nous avons médiatisé beaucoup cette initiative, contrairement à l'autre action menée le 2 mai. Ils n'avaient pas du tout médiatisé leur action". Cette fois, poursuit-elle, "nous avons adopté une stratégie inverse, médiatiser beaucoup en amont pour s'assurer que tout le monde soit mobilisé si nous sommes pris pour cible". Ces éléments de réponse, qui éclairent pourtant plusieurs aspects de ce voyage, ne sont pourtant à notre connaissance repris par aucun média.

Plusieurs médias ne mentionnent même pas ce qui est arrivé au Conscience. Parmi eux : Europe 1, RTL ou Sud Radio. Les mêmes qui s'en prennent à l'initiative en question sur la base parfois d'"informations" pour le moins approximatives. C'est le cas d'Alex Darmon, sur Sud Radio. "Il y a un seul médecin sur la flottille", affirme-t-il, mais "apparemment, on n'arrive pas à trouver ses diplômes", assène-t-il, sans apporter plus d'éléments. Contacté par Arrêt sur images, il n'a pas donné suite. 

C'est aussi le cas d'Eugénie Bastié. Le 4 juin, elle déclare : "Toute la nuit, les deux jeunes femmes ont mis en scène une prétendue attaque de drones israéliens pour attirer l’attention du monde sur leur petite personne". Pourtant, d'après nos recherches sur leurs pages X ou Instagram, Greta Thunberg et Rima Hassan indiquent seulement avoir aperçu des drones au cours de la nuit et s'être préparées à plusieurs scenarii,au regard des tirs de drones qui avaient touché la précédente expédition dela Flottille. "On ne sait pas si c’est un drône de surveillance ou un drone téléguidé", a par exemple indiqué Rima Hassan dans une vidéo. Nulle trace, dans leurs posts, d'une attaque de drones "israéliens". Les engins se sont avérés être grecs. Contactée pour savoir si elle avait vu ces informations ailleurs ou, à défaut, si elle souhaitait revenir sur son assertion, Eugénie Bastié n'a pas répondu à Arrêt sur images. Le présentateur de la matinale dans laquelle elle s'est exprimée, Dimitri Pavlenko, n'a pas non plus réagi à nos demandes.

Le contradictoire... chez un influenceur

Plus largement, un constat frappe : l'absence quasi-totale, pour l'heure, d'occasions données à l'ONG ou aux membres de son équipage de répondre aux critiques et accusations les concernant. L'équipe de Rima Hassan indique avoir reçu des demandes d'interviews de BFMTV, l'Huma, Mediapart, Beur FM, France 24, Off Investigation et Backseat. L'une des responsables relations publiques de l'eurodéputée, commente, auprès d'Arrêt sur images : "CNews, Europe 1, RTL ou Sud Radio ne nous ont pas contactés, ni nous, ni l'équipage". 

De fait, si rien n'obligeait les éditorialistes, d'un point de vue déontologique, à appeler les personnes qu'ils critiquent dans leur billet, la voix de Rima Hassan n'a été entendue dans aucun de ces médias. Elle a très brièvement été interrogée - à peine quelques secondes à l'antenne- par BFMTV, le 5 juin à 6H35, pour commenter la présence des drones grecs. Au final, un seul média a longuement donné la parole à la députée, et lui a permis de répondre aux critiques formulées vis à vis de l'expédition : la chaîne Youtube de Sam Zirah. 

Rima Hassan a, par exemple, affirmé être prête à mourir au cours de cette opération. Mise en scène ou réel sacrifice ? Sam Zirah l'a interrogée sur cette assertion. Il lui a également exposé une question que Bernard Henri-Levy aurait aimé poser à Greta Thunberg, au sujet de la flottille : "pourquoi dans sa jeune vie d'activiste, n'a-t-elle jamais milité pour les 400 000 morts du Yémen, les 13 millions de Soudanais déplacés, les Ouïghours génocidés, les Rohingyas déportés, pourquoi ?" Rima Hassan répond notamment que "la cause du peuple palestinien" est surtout une "cause décoloniale". Sam Zirah l'a enfin confrontée aux scènes de "baignades" de l'équipage, dans la mer, au soleil, qui ont indigné certains éditorialistes (comme Étienne Gernelle) ainsi qu'au peu de vivres transportées par le bateau : une aide humanitaire dérisoire au regard des besoins. 

L'équipe de Rima Hassan poursuit, auprès d'Arrêt sur images : "Lorsque l'intention des médias est de faire un travail journalistique sur la mission humanitaire de la Flottille, ils nous contactent". À l'inverse, "lorsqu’ils cherchent à dénigrer la mission, ils ne prennent pas la peine de nous contacter pour recueillir le point de vue de l'équipage". Précisément l'inverse des règles déontologiques de base du journalisme. 

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