Profession reporter de guerre (virtuel)
Sébastien Rochat - - 0 commentairesEt si vous deveniez reporter de guerre sans quitter votre canapé ? Depuis quelques temps, des joueurs de GTA Online, un jeu vidéo d'action-aventure qui se déroule dans une ville fictive, publient des captures d'écran du jeu avec des commentaires sur le mode "reporter de guerre".
Du reportage de guerre en chambre. On vous avait déjà parlé d'une nouvelle pratique de photographes paysagers à l'occasion de la sortie du jeu vidéo Grand Theft Auto V. Grâce à une nouvelle fonctionnalité - un téléphone portable baptisé iFruit permettant de prendre des photos - des joueurs en ont profité pour faire des captures d'écran qui s’apparentent à des photographies virtuelles. Avec la version en ligne de GTA, de nouvelles photos ont été publiées sur différentes plateformes de blog. Exit les beaux paysages, les joueurs se prennent désormais pour des reporters de guerre, en commentant leurs photographies virtuelles. Ces images sont notamment indexées sur le site Reddit.com (site de partages de liens). Exemple de reportage de guerre virtuel :
Quand j'arrivai sur les lieux, une fusillade très violente était déjà bien en cours entre deux gangs et la police. J'avais vu quelques-uns de ces membres de gang plus tôt dans la journée, et c'est l'endroit où la bataille s'est terminée.
Alors que j'entrai à l'intérieur, j'ai été accueilli par le canon d'un fusil. Un membre féminin du gang a tiré quelques balles à mes pieds; le son était assourdissant.
La scène à l'extérieur de la centrale électrique alors que les membres du gang fuient la zone, réalisant qu'ils sont dépassés.
La police sécurise la zone après une bataille longue et difficile.
S'agit-il d'une nouvelle forme de récit ? Joint par @si, Ivan Gaudé, le directeur de Canard PC avec qui nous réalisons notre émission "C'est p@s qu'un jeu", estime que ce n'est pas vraiment nouveau : "Raconter ses parties de jeu comme si c'était la réalité, ça existe depuis longtemps. Cela concerne quasiment tous les jeux, notamment des jeux de stratégie". Il s'agit d'une pratique plutôt anglo-saxonne. "On appelle ça AAR, pour After Action Report, poursuit Gaudé. Ce peut être un simple descriptif pas à pas d'une partie dans un but pédagogique (ancêtre des parties commentées sur Youtube), mais certains en font un genre littéraire qui consiste à raconter sa partie (en général des jeux de stratégie ou des wargames, mais aussi des jeux de rôles) en inventant tout l'environnement qui peut en faire une vraie fiction (par exemple les caractères et motivations des personnages, les raisons de certaines actions, etc.). Comme une nouvelle ou un roman dont l'intrigue serait constituée par la déroulement de la partie".
Exemple avec le jeu Europa Universalis qui se déroule à l'époque moderne, entre le XVe et XVIIIe siècle. Le principe : le joueur représente le gouvernement d'un Etat européen et gère les affaires d'un pays (économie, politique, diplomatie). "Des gens racontent leur partie comme si c'était une histoire", nous explique Ivan Gaudé (exemple de récit, ici).
Voilà pour la fiction et le récit historique. Et pour des récits plus journalistiques ? "Au début des années 2000 , il y a eu un mouvement dans la presse anglo-saxonne de jeux vidéo qui s'est appelé New Games Journalism et qui prônait une plus grande subjectivité, une utilisation de la première personne du singulier, et un mode de narration qui se rapprocherait du carnet de voyage ou du "reportage" pour aborder un jeu vidéo et son univers", nous explique Ivan Gaudé. Aujourd'hui, le graphisme très réaliste des jeux donne une autre dimension à ces récits illustrés : "ce qui fait la force de ces récits, c'est le contexte contemporain dans lequel se déroule le jeu", précise le directeur de Canard PC. Le réalisme extrême des jeux transforme désormais les joueurs en reporters vraisemblables.
(avec Mireille Campourcy, pour la traduction)