"Pas voyous, pas médiatisés" (ouvriers Nord / Le Monde)
Anne-Sophie Jacques - - (In)visibilités - 0 commentaires"Nous n'avons pas été médiatisés parce que nous n'avons pas été des voyous."
C’est le constat amer de Gérard Gaubert, délégué CFDT et employé d’une usine de canapés près de Dunkerque. L’histoire de cette entreprise à la dérive est racontée par le journaliste du Monde François Béguin sur son blog consacré à Dunkerque, dans le cadre de l'opération du journal intitulée Une année en France (nous la présentions ici). |
Green Sofa Dunkerque emploie une grosse centaine de salariés pour un seul et unique client, Ikea. Et quand le géant du meuble à monter soi-même décide de se fournir ailleurs, où les coûts sont moins chers, l’usine chancelle. "Ikea va vendre polonais parce qu'il gagne deux fois plus sur un canapé produit là-bas. Nous sommes peut-être les derniers Gaulois à se battre sur la production de canapés", explique le syndicaliste. Patrick Danten, le directeur, renchérit : "On ne peut vendre des produits que si le prix plait au consommateur. Ce n'est pas possible de s'aligner sur les produits de grande distribution. Ils ne seront plus fabriqués en France. Pour les produits d'entrée de gamme, on ne sait plus les faire en France. Aujourd'hui, il faut miser sur la réactivité ou sur les produits avec une valeur ajoutée."
Réactivité ? A travers le reportage, on s’étonne de voir que les dirigeants n’ont pas cherché de nouveaux clients. En effet, Ikea a annoncé son retrait deux ans auparavant. Pour le syndicaliste, ça ne fait pas un pli : "Ils voulaient demander à l’État de prendre à sa charge un plan social. Quand notre situation a été médiatisée, ils ont mis les deux pieds sur le frein." Mais côté médiatisation, si la presse régionale couvre bien l’actualité de l’usine, les caméras de télévision ne se sont pas précipitées regrette le syndicaliste : "Chez Lejaby ou chez Arcelor, à Florange, tout est passé à la télévision. Nous n'avons pas été médiatisés parce que nous n'avons pas été des voyous. Nous n'avons pas non plus fait grève pour que des salariés qui ne gagnent déjà que 1100 euros par mois ne perdent pas d'argent."
Et côté candidats ? François Hollande, puis Arnaud Montebourg sont venus pendant la campagne des primaires, Marine Le Pen s’est fait retoquer par des salariés de l’usine et François Bayrou, en meeting à Dunkerque, n’a pas fait le déplacement jusqu'à l'usine. Selon le syndicaliste, il aurait déclaré : "On ne peut pas sauver tout le monde." Mot de la fin : "Tant qu'il y aura les élections, on va tenir. Après, il n'y aura plus rien. Demain ou après-demain, on ne parlera plus de nous."
L’occasion de lire ou relire le reportage de l’éconaute qui s’est délocalisée sur le Tour de France des usines d’Arnaud Montebourg.