Offshore Leaks : les "princes rouges" chinois épinglés
Anne-Sophie Jacques - - 0 commentairesOn croyait l’opération Offshore Leaks menée par l'International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) terminée – voire enterrée – mais non:
un nouvel épisode vient d’être publié aujourd’hui et vise cette fois-ci les princes rouges, cette élite chinoise proche du Parti communiste.
Offshore Leaks, épisode 2. Pour mémoire, Offshore Leaks a analysé les documents contenus dans un disque dur reçu par le journaliste d'investigation australien Gerad Ryle, et issus de deux sociétés offshore, l'une à Singapour et l'autre dans les Îles Vierges britanniques. Chaque média partenaire a publié les résultats de leur enquête le même jour, le 4 avril dernier. En France, Le Monde a d’abord révélé le nom de quelques personnalités liées à des sociétés basées dans les deux paradis fiscaux – dont Jean-Jacques Augier, trésorier de la campagne de François Hollande – avant de s’intéresser aux banques françaises BNP Paribas et le Crédit agricole – une drôle de façon de découvrir la lune, estimait à l’époque l’éconaute. Puis, plus rien. Déçus, certains ont moqué ce pétard mouillé L’opération n’avait pourtant pas dit son dernier mot et dévoile aujourd’hui les conclusions de son enquête sur la Chine après avoir exhumé "plus de 20 000 clients originaires de Chine ou de Hongkong [qui] seraient liés à des compagnies offshore situées dans des paradis fiscaux". Publiée dans Le Monde sur quatre pages intitulées Chinaleaks et signée par six journalistes du consortium, l’enquête déroule les noms des personnalités proches du Parti communiste, dits aussi "les princes rouges." |
Parmi eux: Deng Jiagui, le beau-frère du président XiJinping, Wen Jiabao, ancien premier ministre de 2003 à mars2013, FuLiang, "le fils de Peng Zhen, l'un des «huit immortels» du Parti communiste et des plus hauts dirigeants de l'Assemblée nationale populaire dans les années1980" ou encore MaHuateng, fondateur du numéro un chinois de la messagerie instantanée, Tencent. On apprend que cette pratique est liée aux "lourdeurs administratives et l'interventionnisme étatique [qui] ont tendance à paralyser le système commercial chinois. Aussi, "être immatriculé dans un centre offshore facilite souvent les affaires. Cela ne saurait faire oublier le fait que de nombreuses entreprises chinoises, et de nombreux Chinois, utilisent des sociétés offshore à des fins illicites."
Selon l’article, ces princes rouges "cristallisent le mécontentement de la populationcar ils sont aussi le résultat d'une immense hypocrisie: ces cadres communistes affichent leurs idéaux «populaires» tout en fermant les yeux quand leurs proches utilisent leur pouvoir et leur influence pour s'enrichir". C’est pourquoi, "certains Chinois bravent la colère des autorités en les interpellant sur la corruption. S'appuyant sur Internet et sur de petits rassemblements, le Mouvement des nouveaux citoyens, qui réunit des organisations de la société civile, milite ainsi pour une plus grande transparence. Mais le gouvernement n'a pas tardé à réagir. Le fondateur du mouvement, Xu Zhiyong, a été arrêté, ainsi que plus d'une vingtaine de membres. Le procès du militant s'est tenu mercredi 22 janvier."
Pour l’heure, impossible de savoir qu’elles seront les conséquences de la publication d’un tel article. En France, à notre connaissance, personne n’a été inquiété suite aux révélations de l'Offshore Leaks. Cela dit, sur une cinquième page du quotidien, on découvre une victime: les Iles Vierges britanniques, grande spécialiste de la création de sociétés offshore. En reportage dans ce petit paradis fiscal favori des Chinois – mais pas que – la journaliste nous apprend que ces révélations "auraient fait baisser de 21 %, en 2013, le nombre d'immatriculations de sociétés aux îles Vierges". La journaliste raconte notamment ce cours délivré par une professeure qui assure à ses élèves que "les îles Vierges sortent d'un terrible ouragan. Et cet ouragan porte un nom : I-C-I-J ! ICIJ nous a causé du tort. Il faut nous défendre. Sinon nous perdons nos emplois et nos ressources. Vous le savez ?" Oui ! répondent les jeunes élèves. Dans ce reportage, on apprend également que cinquante-neuf demandes françaises pour identifier les détenteurs de trust sont restées lettre morte. "Soit l'information n'est pas disponible, soit le régulateur n'y a pas accès". C’est pourquoi les Iles vierges sont toujours dans la liste noire française des paradis fiscaux. Elles y sont entrées en même temps que les Bermudes et Jersey, toutes deux sorties précipitamment par Pierre Moscovici dimanche dernier.