Offensive israélienne à Gaza-ville : ce que les JT ne vous ont pas raconté

Loris Guémart - Élodie Safaris - - (In)visibilités - 21 commentaires

Depuis le 5 septembre, Israël a intensifié ses attaques contre la ville de Gaza, bombardant sans relâche et poussant à la fuite des dizaines de milliers de personnes. Une "offensive" qui s'apparente à un nettoyage ethnique, que les JT de France 2 et TF1 ont peu documenté.

Fin août, le ministère de la guerre israélien a déclaré son intention d'"occuper" la ville de Gaza. Le 5 septembre, Israël a frappé une tour d'immeuble de Gaza-ville. Depuis, les bilans quotidiens du nombre de Palestiniens tués par Israël sont particulièrement élevés et les bombardements n'ont fait que s'intensifier toute la semaine du 8 septembre, obligeant ainsi des dizaines de milliers de personnes à quitter les lieux. Au même moment, l’actualité politique sociale en France était particulièrement chargée avec la mobilisation du 10 septembre, la chute du gouvernement Bayrou, et la nomination de Sébastien Lecornu comme nouveau Premier ministre.Comment les JT de France 2 et TF1 ont-ils couvert Gaza sur cette période ? ASI a visionné les 13h et 20h des deux chaînes entre le 5 et le 14 septembre. En commençant par ceux du service public.

Moins de 5 minutes pour Gaza en 10 jours de JT sur France 2 et TF1

Le 5 septembre, le JT de 13h de France 2 consacre huit secondes à Gaza ("il y a quelques instants, l'armée israélienne a annoncé avoir frappé une tour d'immeubles dans la ville de Gaza"), seize à celui de 20h : ("L'actualité internationale avec l'image de cette tour frappée par l'armée israélienne en plein centre de Gaza. C'est au 700e jour d'une guerre dévastatrice, une frappe alors que la branche armée du Hamas a diffusé vendredi une vidéo de deux otages israéliens tournée le 28 août dernier").  

Le 6 septembre, les JT de 13h et de 20h consacrent tous deux un sujet à l'offensive aérienne puis terrestre lancée par l'armée israélienne. Le vocabulaire utilisé pour les lancements en plateau dans le 13h est euphémisant et reprend des éléments de langage de l'armée israélienne ("Israël appelle les Palestiniens à évacuer Gaza en vue du déclenchement d'une nouvelle offensive pour prendre le contrôle de l'enclave"). Les deux sujets sont cependant fidèles à la réalité du terrain et comportent de courts témoignages de Palestiniens. "Après 23 mois de guerre, la nouvelle stratégie d'Israël qui contrôle déjà 80% de l'enclave ici en rouge et 40% de Gaza est de prendre toute la ville et la détruire. comme ici le quartier de Zeitoun, dans le sud, complètement rasé, en l'espace de 2 semaines" conclut Arnaud Miguet, correspondant à Jérusalem et auteur des deux sujets.

Du 8 au 14 septembre, rien sur Gaza, mis à part un "off" de 16 secondes le 8 septembre, dans la foulée d'un sujet consacré à l’attaque terroriste à Jérusalem ayant fait six morts. Seize secondes pour rappeler que "l'armée israélienne a bombardé une nouvelle tour d'habitation" et que "le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou" a annoncé "une extension des opérations militaires à Gaza-ville".

Il aura fallu attendre que l'armée israélienne déploie son offensive terrestre à Gaza-ville pour que le journal de 20h de France 2 évoque de nouveau Gaza, ce mardi 16 septembre. 

TF1 s'en sort mieux que France 2

Le bilan est sensiblement le même du côté des JT de 13h et 20h de TF1 : plusieurs sujets lors des deux JT du 6 septembre, puis plus rien entre le 8 et le 14, sinon deux "off" de quelques secondes (13 secondes au 13h, 20 secondes au 20h) à la fin des séquences sur l’attaque à Jérusalem. 

Si les sujets se valent, les lancements sont plus forts du côté de TF1, qui n'hésite pas à parler de "torture pour les habitants de Gaza", ou de "scènes ubuesques lors desquelles les bâtiments sont visés sous les yeux des habitants prévenus quelques minutes auparavant". La chaîne privée montre même le corps d'un homme mort et cette scène déchirante où son fils martèle en pleurant "Papa, réponds-moi".

TF1 parle donc (un peu) plus de Gaza que les journaux télévisés de l'audiovisuel public, en diffusant notamment le 14 septembre un reportage à Gaza, filmé par le journaliste palestinien francophone Rami Abou Jamous, dans lequel on peut suivre François Jourdel, chirurgien orthopédique, qui a passé un mois dans la bande de Gaza aux côtés de Médecins sans frontières.

En temps d'antenne, entre le 5 et le 14 septembre, le JT du service public, pourtant plus long que celui diffusé sur la première chaîne, évoquera Gaza durant près de cinq minutes au total sur dix jours, quand TF1 y consacrera près de huit minutes.

Ce que vous n'avez ni vu ni entendu

Les informations en provenance de Gaza n'ont pourtant pas manqué cette semaine-là. Voici un résumé (non-exhaustif) de ce que les deux premiers JT de France auraient pu faire le choix de raconter. 

Le 7 septembre, le ministère de la Santé du Hamas fait état d'un bilan de 87 morts et 409 blessées par l'armée israélienne, en moins de 24 heures. Cinq nouvelles morts de famine et de malnutrition sont aussi mentionnées, dont trois enfants. Dans un communiqué, le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires à l’ONU estimait qu'il restait "jusqu'à fin septembre pour empêcher la famine de se propager à Deir Al-Balah et à Khan Younès"

Le porte-parole de la défense civile dans la bande de Gaza estimait que la journée avait été "l'une des plus difficiles depuis le renouvellement de la guerre le 18 mars 2025", et annonçait que plus de 200 tentes de déplacés avaient été détruites. Hamdan Dahdouh, qui travaille pour Al Jazeera,filmait des dizaines de corps sans vie entassés à l'hôpital Al-Shifa suite aux bombardements incessants sur Gaza-ville. 

Le 8 septembre, nouveau bilan : 48 personnes tuées la veille dans la bande de Gaza, selon la défense civile du territoire. Benjamin Netanyahu sommait les Palestiniens de Gaza-ville de fuir : "En deux jours, nous avons détruit 50 tours terroristes, et ce n’est que le début de l’intensification des opérations terrestres dans la ville de Gaza. Je dis aux habitants : vous avez été prévenus, partez maintenant !". Dans le même temps, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l'homme dénonçait "la rhétorique génocidaire" des dirigeants israéliens sur Gaza.

Le 9 septembre, les ordres d'évacuation de l'armée israélienne  continuent de pleuvoir sur les Palestiniens. 1,2 millions de personnes sont sommées de partir de Gaza vers le sud. Le ministère de la Santé fait état de 83 morts supplémentaires au cours des 24 dernières heures, quand le JT de France 2 n'avait pas un mot pour Gaza mais diffusait un sujet sur "les touristes américains, nouveaux clients de la côte d'Azur" et sur le "doigt de fer", nouveau sport de combat. 

Le 10 septembre, tandis que les images de destruction de la ville de Gaza innondent certains réseaux, cinq personnes dont un enfant sont mortes de faim dans les dernières 24 heures. 34 autres sont tuées dans la bande de Gaza, dont 26 dans la ville de Gaza (la source est toujours la même : ministère de la Santé du Hamas). 

Le 11 septembre, nouveaux chiffres : 72 nouvelles personnes ont perdu la vie sous les bombes israéliennes, dans les dernières 24 heures, 356 ont été blessées et transportées dans les hôpitaux de la bande de Gaza. Le même bilan évoque aussi sept nouveaux décès dûs à la malnutrition (dont un enfant), portant le nombre total de morts liées à la famine et à la malnutrition à 411, parmi lesquelles celles de 142 enfants, selon le ministère de la santé locale. 

Selon plusieurs médias locaux, Israël a détruit en cette seule journée 18 immeubles résidentiels dans la ville de Gaza dont 12 dans le camp de Shatee, à l'ouest de la ville. Selon la chaîne israélienne Channel 12, citant des estimations militaires, plus de 200 000 Gazaouis avaient déjà fui la ville de Gaza. 

Dans son journal de bord sur Orient XXI, le journaliste palestinien francophone Rami Abou Jamous écrit, à propos de l'offensive militaire israélienne : "Cette stratégie fonctionne. Ceux qui habitent dans des immeubles de plusieurs étages savent qu’ils sont en sursis. Ils commencent maintenant à déménager sans attendre les ordres, pour ne pas tout perdre".

Le 12 septembre, toujours selon le ministère de la Santé du Hamas, l'armée israélienne a tué 56 personnes dont 35 rien que dans la ville de Gaza. Les hôpitaux ont reçu 14 morts et 143 personnes blessées visées par des frappes, alors qu'elles attendaient de l'aide humanitaire. Et deux nouvelles personnes mourraient de faim ou de malnutrition. Le journaliste M. Saed diffusait sur son compte Instagram la colère d'un jeune garçon : "Cet enfant n'a pas seulement perdu son père, il a perdu plus de 30 membres de sa famille".

Le 13 septembre, 68 personnes ont été tuées et 346 autres blessées par l'armée israélienne dans les dernières 24 heures, portant le bilan à 64 871 morts et 164 610 blessés depuis octobre 2023. L'ancien chef d'état-major de l’armée israélienne Herzi Halevi, affirme que plus de 10 % des habitants de Gaza ont été tués ou blessés par l'armée israélienne confirmant ainsi les bilans donnés par le ministère de la santé de Gaza. En une seule journée, plus d'une vingtaine de bâtiments ont été entièrement détruits par les frappes Israéliennes, selon la recension du journaliste Rami Abou Jamous, transmise à ASI.

Le 14 septembre, les médias locaux palestiniens font état de 52 Palestiniens tués. Au même moment, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) tirait une énième sonnette d'alarme : "Gaza est en train d’être complètement effacée. Elle devient un terrain vague et semble de plus en plus impropre à la vie humaine"

Selon les autorités locales de la bande de Gaza, l'armée israélienne a détruit 1600 immeubles résidentiels ainsi que 13 000 tentes abritant des personnes déplacées dans la ville de Gaza depuis le 11 août dernier. Au total, cela ferait plus de 10 000 logements habités par plus de 50 000 personnes, tandis que les tentes visées abritaient plus de 52 000 personnes déplacées.Des chiffres qui, selon notre recension, n'ont été donnés, ni sur TF1, ni sur France 2. 

Contactées par ASI pour expliquer leurs choix éditoriaux, les deux chaînes de télévision n'ont, pour l'heure, pas répondu à nos sollicitations. 

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