Nouvelle arrestation de Gaspard Glanz : 5 heures en Absurdie
Pauline Bock - - Scandales à retardement - 75 commentairesReporters sans frontières et Blast s'indignent
Le journaliste indépendant Gaspard Glanz n'a pas pu couvrir la manifestation des policiers, ce 19 mai, pour le média Blast : il était en garde à vue, arrêté quinze minutes après le début du rassemblement, alors qu'il sortait du métro. Blast dénonce "une arrestation arbitraire de plus de trois heures [suivies de deux heures d'attente], aucune charge n'étant retenue", tandis que Reporters sans frontières critique "l'acharnement évident" de la préfecture de police envers le journaliste. Glanz a accepté qu'ASI diffuse ici sa vidéo de 11 minutes.
Le journaliste indépendant Gaspard Glanz, habitué de la couverture des manifestations, était plutôt confiant, cette fois-ci : venu à Paris pour couvrir pour le média Blast le rassemblement des policiers devant l'Assemblée nationale ce 19 mai 2021, il n'a pas été placé en garde à vue en amont de la marche - ce qui lui est déjà arrivé plusieurs fois les années passées. Il en riait sur le plateau de Thinkerview
: "C'est la première fois que je viens à Paris et que je ne suis pas en garde à vue avant une manif', c'est un miracle ! notait-il avant d'ajouter : Demain, avec Darmanin [présent dans la manifestation aux côtés des policiers, ndlr], je ne sais pas trop..." Finalement, ça n'a pas manqué. "Avec Gérald Darmanin et Didier Lallement dans la manif', je le sentais venir. Ils ne pouvaient pas tolérer qu'on soit à côté d'eux [dans la manifestation]", estime aujourd'hui Glanz.
Il est 14 h lorsque Gaspard Glanz sort de la station de métro Invalides pour rejoindre la manifestation des policiers. "J'étais à peine sorti du métro, ils m'ont sauté dessus," nous dit-il. Sur Twitter, il précisait que "12 flics de la CSI [compagnie de sécurisation et d'intervention, ndr]" l'avait immédiatement encerclé : "Un record !"
Il rit - jaune : "Je commence à avoir un peu l'habitude, malheureusement..."
Intervention filmée
Sa caméra GoPro a filmé l'ensemble du contrôle de police. Il a posté les images le 20 mai sur son site, Taranis News : on y voit quatre policiers s'approcher de lui à la sortie du métro Invalides, à Paris, et lui demander une pièce d'identité. Glanz reste poli, bien qu'agacé, et les accueille d'un "Oh, comme je suis surpris ! Enchanté, que puis-je faire pour vous ?" avant de présenter ses papiers ainsi qu'une multitude de documents plastifiés prouvant qu'il travaille comme journaliste, y compris plusieurs articles de loi et de presse stipulant que la carte de presse, demandée par les agents, n'est pas nécessaire à l'exercice du métier sur la voie publique.
Le journaliste tente de rire de l'absurde de la situation, tant par le cadrage (il filme les policiers qui attendent, qui piétinent, qui se penchent sur la caméra posée au sol) que par ses répliques piquantes ("Ah, vous avez oublié une batterie, ça aurait pu être une grenade... Mais non, c'est bien une batterie !") Regardez le reportage entier, initialement publié sur Taranis News et reproduit sur ASI avec l'autorisation de Gaspard Glanz :
Au bout de quelques minutes, les deux policiers les plus en retrait semblent lire un message sur le téléphone portable de l'un d'eux, qui s'approche alors de Glanz et procède à un contrôle. Le journaliste s'exécute, ouvre son sac en demandant : "Vous voulez voir quoi ?" Les policiers lui annoncent qu'il n'a pas de preuve qu'il est journaliste, ce à quoi il répond qu'il vient de présenter un justificatif professionnel et ajoute : "À la base, je viens couvrir une manif' de vos collègues, je viens leur donner la parole pour qu'ils puissent exprimer leurs revendications..." Il est autorisé à partir, puis finalement non. "Mais vous venez de me dire que c'était bon ?" "Oui, mais on décide." "Mais il faut l'expliquer, monsieur !" "On va vous l'expliquer."
Un agent lui fait remarquer qu'il "a une fiche" (ce à quoi Glanz réplique qu'il est au courant, puisqu'il a contesté cette fiche S devant le conseil d'État) et qu'ils attendent des "instructions du parquet". Lorsqu'elles arrivent enfin, Glanz apprend qu'il va devoir suivre les policiers dans un commissariat pour une "prise d'empreintes". "Mais vous les avez déjà, mes empreintes, digitales et ADN ! Qu'est-ce que vous voulez de plus ? Mes empreintes de pied ?!" Sa fiche est "toujours en cours", lui expliquent les policiers. Mais selon lui, elle a été classée à la fin d'un contrôle judiciaire, leur dit Glanz : "Trouvez une justification plus solide, parce que là, ça ne va pas passer... J'ai des collègues qui m'attendent, je dois travailler. C'est l'excuse la plus pourrie que j'aie jamais entendue."
Selon lui, la police n'avait pas de motif pour le placer en garde à vue. "C'était pour vérifier une fiche qui n'existe plus. Depuis, il y a eu le procès, c'est fini," précise-t-il en faisant référence à sa comparution en correctionnelle pour avoir adressé un doigt d'honneur à un agent de police, en 2019. "J'ai été trois fois en garde à vue en 2020 : en juin, en septembre, en octobre. Ils ne m'ont jamais demandé mes empreintes à ce moment-là ! C'était juste l'excuse d'aujourd'hui pour m'emmener. Ils ont pris un truc fini depuis cinq ans pour m'éloigner de la manif', il n'y avait pas d'autre raison." Contacté par ASI, le service de presse de la Préfecture de police de Paris nous renvoie vers le parquet de Paris, sous prétexte qu'un "dossier est ouvert". Le parquet, quant à lui, nous renvoie vers la préfecture, qui nous renvoie vers le parquet... Près de 24 heures après notre prise de contact, ni la Préfecture de police ni le parquet n'ont été en mesure de nous fournir une explication concernant la garde à vue de Gaspard Glanz.
"Acharnement évident", "arbitraire le plus absolu"
Blast, qui s'est ému dans un communiqué du traitement réservé à son journaliste en marge du rassemblement, note qu'"aucune charge n'était retenue" contre lui et indique ne pas avoir reçu de réponse des autorités à l'heure de publication, le soir-même à 18 h - alors que la rédaction avait pris contact avec la Préfecture immédiatement après avoir appris que Glanz était en garde à vue. "Au moment où nous publions ce communiqué de protestation, nous précisions que n'avons toujours pas de retour des autorités, sur ce qui tient à l'évidence de l'arbitraire le plus absolu," peut-on lire dans l'article.
La rédaction de Blast avait "mobilisé ses équipes" pour couvrir la manifestation, précise le communiqué, dont Glanz qui a déjà produit des reportages vidéo pour le média. Le journaliste les a alertés à 14h28, par un message interne. C'est seulement vers 16h que Gaspard Glanz a pu joindre la rédaction de Blast par téléphone. Blast dénonce "une arrestation arbitraire de plus de trois heures, aucune charge n'étant retenue". Blast ajoute avoir demandé que le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, ainsi que le premier ministre Jean Castex, soient alertés de "cette atteinte manifeste au droit d'informer, cet enfermement et la confiscation des moyens de communication d'un journaliste envoyé couvrir l'actualité par sa rédaction". Reporters Sans Frontières a également réagi le 20 mai sur Twitter, en regrettant la "réponse nébuleuse et insatisfaisante" que leur a fait la Préfecture de police lorsque le groupe leur a demandé la raison de cette nouvelle interpellation de Glanz, qui témoigne selon eux d'un "acharnement évident".
Le jeune journaliste a remercié RSF qui a pris contact avec lui pour "pour discuter et envisager des réponses communes à de futures obstructions au travail de la presse à Paris et en France". Il estime avoir été le seul gardé à vue de toute la manifestation. "Au commissariat, on m'a dit : « On ne nous a pas envoyé de manifestants, vous avez l'air d'être le seul. »" Après trois heures de garde à vue, le jeune journaliste a dû attendre deux heures supplémentaires au commissariat, alors que sa rétention était terminée : "Parce que la pièce d'identité que je leur avais donnée, mon permis de conduire, était « perdue »." Il a préféré en rire, en tweetant : "Didier [Lallement], ça suffit maintenant. Rends le permis. J'ai envie d'aller en terrasse moi aussi." D'ailleurs, à la fin de son appel à ASI
en sortant du commissariat, il s'est excusé et a raccroché : direction le bar le plus proche pour boire un verre. "Il aura une saveur particulière, celui-là !" rigolait-il. Une saveur un peu amère pour la liberté de la presse, tout de même.