Nos 4 questions-réponses sur la 5G

Loris Guémart - - Numérique & datas - 28 commentaires

Faut-il la déployer partout, tout de suite ?

Quelles seront les conséquences des autorisations de déploiement de la 5G et de ses nouvelles fréquences ? Un moratoire serait-il gravement handicapant pour la France ? Pour y répondre, Arrêt sur images a échangé avec 4 experts reconnus, spécialistes de la 5G. Principale conclusion : même avec la 5G, la révolution technologique, c'est pas pour tout de suite...

Le 12 septembre, dans le JDD, une soixantaine d'élus de gauche dont 11 maires écologistes demandaient un moratoire sur le déploiement de la 5G "au moins jusqu'à l'été 2021". Ils voulaient permettre "la tenue d'un débat démocratique décentralisé sur la 5G et sur les usages numériques", et que "la priorité soit donnée à la réduction de la fracture numérique" avec "le développement de la fibre en zone rurale et en finalisant le déploiement de la 4G". Le 14 septembre, Emmanuel Macron moquait ses signataires, mais aussi les participants à la Convention citoyenne pour le climat qui ont proposé un moratoire "en attendant les résultats de l’évaluation de la 5G sur la santé et le climat" avant l'été. "Oui, la France va prendre le tournant de la 5G", s'était-il en effet enthousiasmé devant un public d'investisseurs et de patrons de la tech, qualifiant de "modèle amish" la position pro-moratoire. Mais le président de la République n'a pas répondu lorsque Martin Bouygues, le 22 mai, a demandé lui aussi un décalage de l'attribution des fréquences –prévue à la fin du mois–, en usant d'arguments certes économiques, mais en évoquant aussi la nécessité d'un débat public et citoyen.

Depuis sa relance politique en cette rentrée, le sujet n'en finit pas d'être évoqué dans les médias, qui multiplient les fact-checkings. Numerama s'est ainsi montré très circonspect du point de vue de la santé, le risque sanitaire des ondes n'étant "pas démontré", et au niveau de la consommation énergétique, l'impact environnemental étant "difficile à constater". Franceinfo s'est livré au même exercice, mais a tiré des conclusions assez différentes : le média pointe l'augmentation du niveau général d'exposition aux ondes radio, estime valides les inquiétudes en termes d'accroissement de la consommation énergétique et de l'empreinte écologique, mais conclut à l'inutilité relative de la 5G dès 2020 pour les particuliers, ainsi qu'à son incapacité à résorber la fracture numérique entre villes et campagnes.

Pour son propre fact-checking, Arrêt sur images a sollicité quatre experts spécialistes des réseaux mobiles. Deux sont plutôt défenseurs d'un déploiement rapide : le président d'une entreprise de stockage en ligne (candidat du Parti pirate aux élections européennes de 2019), Pierre Beyssac, et le consultant en infrastructures de réseau Jérôme Nicolle. Les deux autres sont tenants d'une sobriété numérique, méfiants envers un déploiement rapide : l'un ingénieur du think tank Shift Project, Maxime Efoui-Hess, l'autre designer et auteur d'un rapport indépendant sur la 5G, Gauthier Roussilhe.

1. renouvellement nécessaire du parc de smartphones ? Probable.

"Les fabricants espèrent que ça va donner un coup de fouet au marché mais n'espèrent pas des miracles, ils tablent sur 10 à 20 % de ventes en plus, ça me semble optimiste", fait remarquer Beyssac à propos de l'accélération du renouvellement des téléphones éventuellement engendrée par le déploiement de la 5G, tout en signalant que de nombreux téléphones 5G sont déjà en vente. "Les marketeux peuvent en rêver du côté des opérateurs, le cycle de renouvellement sera peut-être un peu accéléré, de 31 mois aujourd'hui à 29 ou 28 mois, mais l'effet restera négligeable car la 4G continuera à fonctionner", note Nicolle. Mais alors que la dynamique mondiale, ces dernières années, était celle d'un allongement de la durée de vie et d'une baisse des livraisons, pour Roussilhe, l'objectif des fabricants et opérateurs est bien "de remettre une pièce dans la machine pour relancer le système". Du côté du Shift Project, Efoui-Hess rappelle en effet que "la rentabilité économique du déploiement est basée sur le pari que les gens prendront de nouveaux terminaux et des abonnements 5G", et ajoute qu'un déploiement –espéré– d'objets et de capteurs connectés en tout genre représenterait "des terminaux en plus qu'il va falloir produire".

2. Les antennes 5G s'éteignent-elles la nuit ? Non, mais...

La consommation des antennes 5G a été mise en avant dans les médias depuis la rentrée, du fait d'un article du journal hong-kongais South China Morning Post et d'un rapport du géant chinois Huawei. Le premier évoque l'extinction de certaines antennes-relais 5G la nuit par un opérateur chinois, le second une multiplication jusqu'à 3,5 de la consommation énergétique suite au déploiement de la 5G... et les deux ont engendré des articles dans le monde entier. Tout d'abord, non, les antennes-relais 5G ne seront pas éteintes la nuit, ou plus précisément, si des antennes sont éteintes, cette extinction ne changera rien à la couverture mobile. En réalité, l'innovation de ces nouveaux équipements réside dans leur capacité à moduler leur consommation énergétique en fonction du nombre de capteurs et de téléphones à proximité, ainsi que de leurs besoins en matière de débit. "Les équipementiers promettent une économie de 15 à 20 % sur la partie 'radio' des antennes-relais, et dans les cas optimaux comme des stations balnéaires très peu utilisées l'hiver, une consommation divisée par trois", explique Nicolle.

Quant à l'augmentation de la consommation dont s'inquiète l'équipementier Huawei dans son rapport, qui suggère la nécessité de connecter les antennes-relais à des sources d'énergie renouvelable, elle serait la conséquence de l'accumulation d'équipements de différentes générations –3G, 4G et 5G– et d'un déploiement généralisé des fréquences élevées... mais à la portée bien plus faible que les fréquences utilisées par la 3G et la 4G, donc avec une augmentation massive du nombre d'antennes 5G.

3. Y aura-t-il plus d'antennes ? Pas vraiment.

Sauf qu'en réalité, et du moins en Europe, aucun opérateur ne prévoit d'atteindre un niveau de couverture rurale équivalent en 5G à ce qu'il est aujourd'hui en 3G. "Les nouvelles fréquences sont utiles pour augmenter la capacité en zone dense", pointe ainsi Beyssac. La solution retenue pour le déploiement de la 5G en zones peu denses devrait en effet être celle du réemploi de fréquences existantes, avec un nombre d'antennes-relais sensiblement identique, et un débit lui aussi relativement proche à ce qu'il serait aujourd'hui en 4G. Et en ville ? "Dans les zones denses, il y a déjà une telle densité d'antennes qu'on ne verra pas de différence notable en implantant la 5G", estime Beyssac. En s'appuyant sur les antennes de test de la 5G déjà déployées par les opérateurs, il évalue qu'un total de "1 500 à 2 000 antennes" supplémentaires dédiées à la 5G pourraient s'ajouter aux sites existants, les opérateurs ayant aujourd'hui chacun de 20 000 à 30 000 sites d'antennes-relais.

Nicolle rappelle pour sa part que ces déploiements "relèvent du secret industriel" du point de vue des opérateurs, et ne sont donc pas connus avec précision. Du côté du niveau d'exposition, un récent rapport de l'Agence nationale des fréquences, découlant de simulations menées sur le 14e arrondissement de Paris, prévient qu'en zones denses, retarder le déploiement de la 5G pourrait augmenter le niveau d'exposition par l'accroissement de la puissance des antennes 4G –afin de pouvoir supporter le trafic grandissant des données mobiles.

Les tenants de la sobriété numérique, eux, regrettent d'abord le manque de transparence des opérateurs quant à leurs projets. Ils regrettent aussi que la question dela consommation énergétique soit parfois posée seulement "au niveau des antennes" selon Efoui-Hess, alors qu'il faut selon lui prendre en compte l'ensemble de la chaîne numérique, et notamment la consommation d'énergie de la fabrication de tous les équipements. "L'efficacité énergétique cache la consommation totale d'énergie, y compris pour l'usage et la fabrication des appareils", confirme Roussilhe. "On part du principe que plus de numérique, c'est forcément mieux. Mais il faut se demander dans quels secteurs c'est réellement mieux, pour savoir où ça vaut le coup d'investir dans le numérique ou pas : aujourd'hui, on n'en a aucune idée, alors qu'on a cette épée de Damoclès du changement des conditions de vie sur terre."

4. La 5G sera-t-elle révolutionnaire dès son déploiement ? Non.

En France, le grand paradoxe de la 5G est celui de sa nécessité immédiate, assurent dans une belle unité nos 4 experts, pour qui les opérateurs jouent de l'image d'un futur technologique rayonnant appuyé sur les notions de "ville intelligente" ou de véhicules connectés... alors qu'en réalité, ce monde n'est ni celui d'aujourd'hui, ni celui d'un futur proche. Son utilité la plus probable et concrète, elle, serait plutôt ponctuelle, dans les zones les plus denses telles que le quartier d'affaires de La Défense à Paris. Mais tous, comme Martin Bouygues, tordent le cou à l'idée que les "objets connectés" auraient un besoin vital et immédiat de la 5G. Ceux de la plupart des particuliers et des entreprises utilisent soit leur Internet fixe par l'intermédiaire d'une connexion Wifi, soit des réseaux sans fil.

"Les nouveaux usages qu'on  nous vend sur l'Internet des objets, la télémédecine, ce sont les discours des gens du marketing. La 5G permet plus de choses mais on ne sait pas encore ce qu'on va en faire, ni si c'est pertinent", analyse Nicolle.  "Ce déploiement d'infrastructure est basé sur des prévisions d'augmentation d'usage des données : si les gens limitent leur consommation, ce ne sera pas rentable", pointe cependant Efoui-Hess. Pour lui, comme pour Roussilhe, l'appel à la responsabilité individuelle est "dépolitisant", et évite de se poser une question, la seule question pour lui, in fine : celle de l'augmentation de la température planétaire. "Est-ce que ce modèle de développement est compatible avec les accords de Paris ?"

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