"Merci Patron" : victoire pour le lanceur d'alerte de Renault

Capucine Truong - - 5 commentaires

Un effet de la loi Sapin 2 (2016)

Licencié par son entreprise prestataire, Eurodecision, pour avoir fait la promotion du film Merci Patron! chez Renault et révélé la surveillance des syndicats par le géant automobile, "Henri" (pseudonyme) a gagné son combat juridique. S'appuyant notamment sur la loi Sapin 2 de 2016, la cour d'appel de Versailles a prononcé, le 27 février, la nullité de son licenciement.

Licencié par son entreprise pour avoir diffusé sur Fakir un enregistrement de son PDG révélant que Renault surveillait les e-mails des syndicats du constructeur automobile, "Henri" (pseudonyme) a gagné son combat judiciaire. Mardi 27 février, la cour d'appel de Versailles a prononcé la nullité de son licenciement.

Nous racontions  l'histoire il y a deux ans : Henri, alors ingénieur pour une entreprise prestataire de Renault, Eurodecision, et par ailleurs bénévole à titre privé de Fakir, envoyait un e-mail, le 15 mars 2016, via sa boite mail privée et hors des heures de travail, à des syndicalistes Sud, CGT, CFDT, FO et CGC du constructeur automobile. Il les invitait à la "Nuit rouge" organisée par François Ruffin et ses camarades, et leur proposait d'organiser à leur tour une projection du film. Le lendemain, il recevait un appel de son PDG, que "quelqu'un de chez Renault" avait mis au courant, selon l'histoire relatée par Henri lui-même à Arrêt sur images, et il était mis à pied. 

Sanction redoublée, quelques jours plus tard, pour avoir raconté les faits dans une vidéo diffusée sur Fakir. Il diffusait dans cette même vidéo un enregistrement "pirate" de son entretien téléphonique avec son PDG, sans pour autant révéler le nom de la société (Eurodecision, donc). Dans cet extrait, on entendait le PDG faire une révélation : "... donc ils surveillent, ils surveillent les mails, et à ton avis les mails de qui ils surveillent en priorité? ...Bah les mails des syndicalistes bien évidemment..." Le PDG intimait aussi à Henri une interdiction de communiquer avec les syndicats : "t'es pas censé, en tant qu'intervenant chez Renault, (de) discuter avec les syndicats Renault. Les syndicats de Renault, ils sont là pour les salariés de Renault."

Merci Eurodecision ! Fin mars 2016, "Henri" contactait Arrêt sur images, qui rendait compte de l'histoire, bientôt suivi par de nombreux médias : Francetvinfo le 2 avril, Mediapart le 7, BFM le 8, entre autres. Le nom d'Eurodecision sortait dans la presse. Et par lettre du 21 avril 2016, il était licencié par Eurodecision pour faute grave : "Henri" aurait violé l'"obligation de loyauté et de bonne foi" à l'égard de son employeur, en enregistrant à l'insu du PDG leur conversation téléphonique, et en laissant diffuser cet enregistrement sur un site public.

Un statut de "lanceur d'alerte" reconnu grâce à la loi sapin II

Saisis par Henri et par les syndicats CGT Renault Guyancourt Aubevoye et Sud Guyancourt Aubevoye, les prud'hommes ont confirmé le licenciement en validant son motif, par une décision du 26 août 2016. Henri a immédiatement fait appel auprès de la cour d'appel de Versailles qui, dans son arrêt rendu le 27 février, qu'Arrêt sur images a pu consulter, en a jugé tout autrement.

La cour a considéré que le licenciement de "Henri" était une violation de sa liberté d'expression. Il était en effet autorisé à entrer en contact avec les syndicalistes, d'autant plus depuis son adresse e-mail privée. Quant à la diffusion de l'enregistrement de son PDG, révélant la mise sous surveillance des syndicalistes par le groupe Renault, la cour a pu retenir pour "Henri" le statut de "lanceur d'alerte". En effet, la loi Sapin II du 9 décembre 2016, a élargi les modalités du statut, qui ne recouvre plus seulement la dénonciation de "faits de corruption ou d'autres faits de délinquance économique et financière." Peut désormais être considéré comme "lanceur d'alerte", selon les termes de la loi, transposée dans le code du travail à l'article L.1161-1, "une personne physique qui révèle ou signale un crime ou un délit ; une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France (...) ; ou une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général." La cour d'appel a ainsi jugé que la publication de l'enregistrement du PDG d'"Henri" sur Fakir visait à porter à la lumière "des faits d'atteinte à la liberté d'expression dans le cadre d'échanges avec un syndicat" : Eurodecision lui interdisait de communiquer avec les syndicats de Renault, sa mise à pied conservatoire tenant lieu de preuve. La cour a achevé ce camouflet total de Renault et d'Eurodecision en estimant que les deux sociétés avaient "participé à la réalisation de leur propre préjudice [d'atteinte à l'image et à la réputation de la société] en ne respectant pas une liberté fondamentale."

La société Eurodecision devra payer à "Henri" 25 000 euros d'indemnité de licenciement nul, 3 424,88 euros à titre d'indemnité de licenciement avec intérêts et 10 271,71 euros brut à titre d'indemnité de préavis, en plus de 2000 euros pour les frais de justice engagés. Les syndicats CGT Renault Guyancourt Aubevoye et Sud Guyancourt Aubevoye, qui s'étaient joints à la demande de "Henri" ont aussi été alloués 3 000 euros chacun à titre de dommages et intérêts de 1000 euros chacun au titre des frais de justice. Contactée, la société Eurodecision n'a pas souhaité commenter l'arrêt de la cour d'appel.

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