Ménard, Cyrulnik, et les "tocards"
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesQuel talent, tout de même, ce Ménard, pour faire la Une tous les deux jours.
Après les Robocops de sa police municipale, après ses statistiques ethniques en calcul mental, voici "Ménard insulte les journalistes locaux". C'est Libé qui raconte, comment le maire de Béziers, élu avec le soutien du FN, a éjecté de sa mairie deux journalistes envoyés en "médiation" par le Club de la presse Languedoc Roussillon, non sans les traiter de "tocards" ou de "sous presse".
On vous avait raconté ici comment Midi libre, voici quelques mois, s'était auto-censuré à propos de la police municipale de Béziers. Mais le noeud du conflit, c'est l'affaire Cyrulnik. Le 30 septembre dernier, Midi Librepublie un article relatant la fermeture à Béziers d'un institut de la petite enfance, dirigé par le célèbre neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Midi libre interviewe une administratrice de l'Institut, Laurence Rameau laquelle, parmi d'autres explications de la fermeture, donne celle-ci :"Les parents de Boris Cyrulnik sont morts dans un camp d'extermination nazi quand il avait 5 ans. Lui a réussi à s'échapper alors qu'il avait été arrêté sur Bordeaux. Il raconte d'ailleurs tout cela dans son livre “Sauve-toi, la vie t'appelle”. Vous comprenez bien qu'un IPE Boris Cyrulnik est difficilement compatible avec le régime politique de la ville de Béziers". Contacté par téléphone par Midi Libre, Cyrulnik indique pour sa part "avoir pris la décision de partir de Béziers avant les résultats des élections municipales à Béziers. Je m'étais parfaitement entendu avec (...) l'ancienne municipalité. Puis le fait que la mairie soit devenue FN nous a confortés dans notre décision de partir. Je partage entièrement les réponses de Mme Rameau. Ce qu'elle a dit est totalement vrai". Les détails de la conversation téléphonique ne sont pas relatés. En "partageant" ce que dit Laurence Rameau, Cyrulnik endosse-t-il aussi la référence à l'extermination ? On ne sait pas.
Se voir assimilé à l'extermination nazie suscite la fureur de Ménard.Qui réagit dans son journal municipal. Et coup de théâtre ! Le 1er octobre, dans une tribune au Plus (site contributif) du Nouvel Observateur, titrée « Mon institut quitte Béziers : non, ce n'est pas à cause de Robert Ménard » Cyrulnik change (imperceptiblement) de ton: « Il ne faut pas interpréter notre départ comme un rejet du mandat de Robert Ménard. Je ne suis pas un amoureux du Front national. Le fait qu'un maire FN soit aujourd'hui à la tête de Béziers ne m'y retient pas particulièrement. Mais encore une fois, il avait été acté préalablement que nous partirions. C'est important de le dire, car nous craignons d'être engagés dans un combat qui n'est pas le nôtre. Notre projet n'est pas politique, il est éducatif. Nous œuvrons à développer l'accueil et la prise en charge de la petite enfance. Nous restons concentrés sur notre mission, sans faire de politique. »
Le procès démêlera -peut-être- ce qu'a vraiment dit Boris Cyrulnik, ce qu'il n'a pas dit, ce qu'il pense, ce qu'on pense qu'il pense, et ce que l'on doit s'interdire de penser qu'il pense. Manifestement, la médiation du Club de la Presse Languedoc Roussillon ayant échoué, il faudrait la confier à une autre organisation de défense de la liberté de la presse, une organisation que Ménard ne puisse soupçonner de défendre "tocards" ou "sous presse". Reporters sans Frontières ?