Maroc / chantage : le Seuil ne publiera pas le livre

Vincent Coquaz - - Déontologie - 0 commentaires

Une relation de confiance "dissoute". Les éditions du Seuil ont annoncé qu'elles ne publieraient pas le livre d'Eric Laurent et Catherine Graciet sur la monarchie marocaine. En cause, les soupçons de chantage portés contre les deux journalistes, qui se sont exprimés ce week-end dans la presse. S'ils évoquent une "manipulation" du pouvoir marocain en vue de les discréditer et réfutent toute "tentative de chantage", ils reconnaissent toutefois avoir accepté de ne pas publier le livre contre rémunération.

"Stupeur, tristesse et colère." Le président des éditions du Seuil, Olivier Bétourné, a estimé aujourd'hui que la "relation de confiance" avec les journalistes Eric Laurent et Catherine Graciet, accusés d’avoir fait chanter le roi du Maroc, était "de facto dissoute". "Catherine Graciet et Eric Laurent ont publiquement reconnu avoir accepté de ne plus rien écrire sur le royaume du Maroc contre rémunération, violant ainsi délibérément les engagements contractuels qu'ils avaient pris avec les Editions du Seuil [...] Dans ces conditions, la publication envisagée ne saurait avoir lieu", a ainsi expliqué la maison d'édition dans un communiqué.

Cette annonce fait écho à deux entretiens, l’un d’Eric Laurent au Monde Afrique, l’autre de Catherine Graciet, au Parisien. Les deux journalistes y ont donné leur version des faits pour la première fois, alors que l’avocat de Mohammed VI, Eric Dupond-Moretti, occupait jusque-là l’espace médiatique. Tout deux décrivent un "traquenard" tendu par le pouvoir marocain, mais reconnaissent avoir accepté de ne pas publier le livre contre rémunération.

Laurent l’assure : il a succombé à la "tentation" mais n’a en aucun cas fait "chanter" le roi. "Il n’y a jamais eu de tentative de chantage. J’ai appelé [le secrétaire de Mohammed VI] pour une raison très simple : dans ce livre que nous avions en préparation, il y avait des éléments concernant la famille royale que nous voulions croiser avec le Palais. Au lieu de cela, le lendemain, j’ai reçu un appel d’un homme qui s’appelle Hicham Naciri, qui est un avocat du Palais, que je ne connaissais pas. [...] Nous nous retrouvons le 11 août à sa demande. […] A un moment donné, il me dit : «On pourrait peut-être envisager une rémunération, une transaction, en contrepartie d’un retrait écrit». C’est lui qui m’amène à cette idée", argue Eric Laurent. Il reconnaît toutefois avoir proposé lui-même la somme de trois millions d’euros pour ne pas publier le livre, mais réfute que cela puisse aller à l’encontre de la déontologie journalistique : "Ce qui serait allé à l’encontre de la déontologie, cela aurait été de dire : j’ai ces éléments, et je vais vraiment vous demander de me payer, sinon je les publie et cela sera très douloureux pour vous. Ce qui n’a jamais été le cas." Et concernant la co-auteure Catherine Graciet, Laurent refuse de porter le chapeau seul : "Soyons clairs, du début à la fin, Catherine Graciet a tout approuvé. Avant cette réunion, nous préparions les choses ensemble."

De son côté, la journaliste freelance estime "être tombée dans un piège". "Je n'ai jamais voulu faire chanter qui que ce soit. Je suis tombée dans un piège. Le Maroc a voulu se débarrasser de quelqu'un de gênant pour le Palais", avance-t-elle au Parisien. Pourquoi alors a-t-elle accepté de se rendre à un rendez-vous qui portait sur les trois millions d’euros avec Eric Laurent et l’avocat du roi, Hicham Naciri ? "J'y vais pour voir parce que je n'arrive pas à y croire. Que l'avocat du roi soit là, en personne, à prendre un tel risque ? A endosser un rôle réservé plutôt aux barbouzes ? Je veux en avoir le cœur net. En dix ans, je n'ai jamais pu parler à un représentant du Palais. J'y vois l'occasion d'obtenir des réactions, même en off, par rapport aux affaires évoquées dans le livre. Je pense même qu'une tentative de corruption, cela ferait un beau chapitre d'ouverture..." Une proposition qu’elle aurait pourtant acceptée, en même temps qu’une avance, en argent liquide.

"Deux voix parlent dans ma tête : l'ange et le démon. Et je ne sais plus ce que je fais. […] Oui, je me suis laissée tenter (elle fond en larmes...). J'ai eu un accès de faiblesse... C'est humain, non ? Chacun se demande ce qu'il ferait de sa vie avec 2 M€. […] Ensuite, c'est [Naciri] qui a insisté pour que nous prenions une avance. Quand il est parti et que je me suis retrouvée avec tout cet argent liquide dans les mains, j'étais hébétée, hagarde. Quand la police nous a interpellés dans le hall de l'hôtel, je n'ai pas compris." Tout comme Eric Laurent, elle promet qu’elle souhaite désormais voir le livre sortir. Il leur faudra trouver un nouvel éditeur.

L’occasion de lire la chronique du matinaute sur la difficulté de traiter ce fait divers : Laurent, Graciet et le Maroc : les perdus

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