Maroc/chantage : l'AFP moins affirmative que le JDD
Vincent Coquaz - - 0 commentairesUn enregistrement de trop mauvaise qualité pour trancher ?
Dans l’affaire de soupçons de chantage qui oppose les journalistes français Eric Laurent et Catherine Graciet au roi du Maroc, il subsiste une question principale, qui sépare les versions des deux camps. "Qui a initié, le 11 août, l’idée d’un accord financier pour annuler la sortie d’un livre présumé sulfureux sur le Maroc ?", résumait hier l’AFP. Mais pour l’agence, qui précise avoir eu accès à "des retranscriptions rapportées", les bandes ne permettent pas de trancher, notamment à cause de leur qualité. "De «nombreux passages sont inaudibles, notamment les propos du journaliste», ont noté les policiers dans leur retranscription, selon la source." Une seule certitude donc : "Le journaliste de 68 ans n’a jamais refusé cette solution, tandis que son interlocuteur, Me Hicham Naciri, mandaté par le secrétaire particulier du roi du Maroc, ne condamne pas le procédé."
Du côté du JDD, qui publiait ce week-end des extraits des mêmes enregistrements, réalisés par l’avocat du roi du Maroc, on se montrait plus catégorique. Les bandes étaient ainsi jugées "accablant[e]s pour les deux journalistes mis en examen pour «chantage et extorsion de fonds»".
En fait, une différence de taille dans un passage clé distingue le JDD de l’AFP. Dans l’hebdo, une scène rapportée, lors du premier rendez-vous entre Eric Laurent et l’avocat du roi Mohamed VI dans un hôtel parisien, donne le ton :
"L’avocat a, dans sa poche, un Iphone en mode enregistrement. Eric Laurent explique son projet de livre, avec sa jeune consœur, "qui est mordante"… La bande est entre les mains de la police qui a dû en booster le son… "Vous voulez quoi?" demande l’avocat.
- Je veux 3.
- Trois quoi, Trois mille? interroge l’avocat.
- Non, 3 millions.
- Trois millions de dirhams?
- Non, 3 millions d’euros."
Côté AFP, la scène est beaucoup plus confuse. "Selon leur source", l'avocat du roi interroge le journaliste français en ces termes : "Donc pour vous, vous êtes dans l'optique (...) d'une transaction, moyennant quoi, vous prenez l'engagement avec Mme Graciet d'oublier, d'oublier de façon absolue de parler de tout ce qui peut toucher de près ou de loin (...)." Toujours selon l'agence, "la réponse du journaliste est inaudible. Mais il acquiesce -- «oui, tout à fait d'accord» -- quand l'émissaire marocain évoque «un engagement contractuel». [...] «Qu'est-ce qui vous intéresse?», insiste-t-il. Silence du journaliste, qui semble écrire quelque chose. «3.000 euros, en dirhams?», demande l'avocat. Pour les policiers, la somme de 3 millions d'euros a été évoquée."
"Une phrase lourde de sous-entendus"
Dès le deuxième rendez-vous, l’enregistrement est plus "clair" puisque l’iPhone de l’avocat est désormais sur la table (et des policiers français sont en planque). Et là aussi le JDD donne plus de précision, avec un passage qui accrédite l’idée du chantage : "[Le journaliste] glisse en partant qu’il peut tout aussi bien faire «Le Roi prédateur» ou «Une affaire de famille» [titres de ses livres] tous les deux ou trois ans…". "Une phrase lourde de sous-entendus", pour le JDD.
Interrogé sur la question, le journaliste du JDD Laurent Valdiguié se montre catégorique : "au vu des enregistrements, il n’y a aucun doute possible sur le fait que c’est Eric Laurent qui propose le deal." Et sur le dialogue saisissant portant sur la somme ? "Je persiste et signe. Il a eu lieu tel quel, au mot près". Du côté de l’AFP, le rédacteur en chef France Jean-Luc Bardet précise à @si que l’agence a bien relayé l’information du JDD dès dimanche (sans reprendre le dialogue intégralement), mais que la retranscription "la plus récente" à leur disposition hier ne permettait pas de trancher. Bardet n'a pas souhaité préciser si les journalistes de l'agence ont pu écouter les enregistrements eux-même.
L'occasion de lire la chronique du matinaute : Laurent, Graciet et le Maroc: les perdus