Manning / collusion avec l'ennemi : accusation maintenue
La rédaction - - 0 commentairesPas de clémence pour le célèbre informateur de Wikileaks. La juge Denise Lind a annoncé aujourd'hui qu'elle n'abandonnerait pas les charges les plus sérieuses pesant sur le lanceur d'alerte. Parmi celles-ci , figure surtout l'accusation "d'aide à l'ennemi" pour laquelle il encourt la prison à perpétuité. La juge a également refusé d'abandonner les charges de fraude informatique. Toutefois, elle a accepté de continuer l'examen des demandes qui pourraient acquitter Manning de cinq chefs d'accusation relatives au vol.
Son jeune âge, ses bonnes intentions et sa naïveté n'auront pas convaincu la juge de la cour martiale de Fort Meade dans le Maryland. Bradley Manning sera bel et bien jugé pour "collusion avec l'ennemi". La motion de la défense qui visait à abandonner l'accusation a été rejetée par la magistrate qui a estimé que les preuves à charge contre Manning étaient suffisantes. Espoir déçu pour Bradley Manning qui a plaidé non coupable pour ce chef d'accusation et encourt désormais 150 ans de prison sans possibilité de remise en liberté conditionnelle. Débuté en juin 2013, le procès qui devrait durer 16 semaines a suscité peu d'intérêt dans les médias (nous vous en parlions ici). Le jeune homme est poursuivi par le gouvernement américain pour avoir transmis des informations classées au site Wikileaks en 2010. Manning sort d'une journée de procès le 8 juillet 2013 (Reuters) |
Le gouvernement américain se fonde sur le fait que des documents relatifs à la guerre en Afghanistan ont été retrouvés à Abbotabad dans la maison d'Oussama Ben Laden et qu'ils auraient pu servir de manière plus générale à informer l'ennemi. Le gouvernement américain a notamment souligné la formation d'agent de renseignement de Bradley Manning pour affirmer qu'il "savait exactement ce qu'il faisait". Un argument que la juge a retenu en rappelant que le soldat avait suivi un cours sur l'utilisation d'Internet par le terroristes" selon ce qu'affirme Le Monde.
Les avocats de l'accusation ont également tenté de décrédibiliser son image de bienfaiteur de l'humanité en l'accusant d'avoir surtout voulu gagner de la notoriété comme l'affirme Reuters. Parmi les témoins figurait ainsi Kyra Marshall le 10 juillet qui a notamment rapporté ces mots de Bradley Manning : "Je serais choqué si tu ne parlais pas de moi à tes enfants d'ici 10 à 15 ans". En clair, selon le gouverment, cette négligence n'est en aucun cas un acte de courage motivé par l'intention d'informer. Pis, elle a mené à informer l'ennemi mettant ainsi en danger les Etats-Unis.
L'avocat de Manning, David Coombs a au contraire défendu son client en le présentant comme un jeune homme naïf et motivé par de bonnes intentions. Lors du procès, Manning a en effet expliqué vouloir "lancer un débat national sur le rôle de l'armée" et sur les guerres en Irak et en Afghanistan. Il aurait voulu "accomplir quelque chose qui permette d'avoir la conscience tranquille".
D'autre part, le camp Manning a tenté de défendre le soldat en montrant que Wikileaks était une organisation journalistique légitime, qui oeuvrait pour plus de transparence dans le monde. C'est dans ce sens qu'était venu témoigner Yochai Benkler, professeur à Harvard Law School, et reconnu au titre "d'expert" en journalisme de réseaux par la cour martiale le mercredi 10 juillet.
@si s'est plongé dans les compte-rendus du procès du mercredi 10 juillet, disponibles sur le site Freedom of The Press Foundation comme nous l'expliquions ici. Le chercheur a assuré avoir lu l'intégralité des 700 articles relatifs à Wikileaks dans la presse avant 2010. Selon lui, le site était considéré majoritairement comme un site de journalisme d'investigation par les médias. C'était également, selon lui, le point de vue du Pentagone. Un rapport du département de la défense de 2008 sur le sujet le dépeindrait effectivement comme un site "journalistique". |
Avant 2010, Wikileaks avait été à l'origine de révélations sur les mécanismes de fraude fiscale, sur les pratiques frauduleuses de grandes entreprises ou sur des traités secrets comme le traité ACTA (Anti Counterfeiting Treaty Act) concernant la contrefaçon en Europe. C'est seulement suite aux câbles concernant les guerres d'Irak et d'Afghanistan et autres câbles diplomatiques publiés en 2010, que le point de vue des médias a commencé à changer et que les attributs journalistiques de Wikileaks ont commencé à s'estomper dans les analyses.
Pour la défense, il s'agit de prouver que le soldat cherchait donc bien à "informer" les citoyens et non pas à collaborer avec l'ennemi. Autre argument en faveur de la nature journalistique de Wikileaks : le site a été décoré de plusieurs prix saluant sa lutte pour la transparence. Amnesty International l'a ainsi récompensé en 2009.
La défense a également tenté de montrer que la plupart des informations dévoilées par Wikileaks étaient en fait déjà présentes sur la toile. Pour appuyer cette thèse, la défense a fait appel à un autre témoin, spécialiste au "Center for Army Lessons Learned, centre spécialisé dans l'adaptation des opérations militaires à un changement de contexte. Ce dernier avait assuré que le centre n'avait ordonné aucun changement dans les tactiques ou les formations suite aux divulgations de Wikileaks.
Et c'est là tout l'enjeu de l'accusation américaine : prouver l'ampleur des dégâts dûs aux divulgations de Wikileaks. Ces conséquences sont difficiles à évaluer comme le soulignait déjà le Monde dès l'ouverture du procés, le rapport officiel réalisé sur le sujet par les autorités américaines étant effectivement classé confidentiel et inconsultable par la cour martiale.
Tous ces arguments n'ont donc pas été entendus par la juge Lind qui les a rejetés. Suite à cette décision qui maintient donc l'accusation de "collusion avec l'ennemi" à l'encontre de Mannig, David Coombs a accusé le gouvernement américain de chercher à dissuader tous les futurs lanceurs d'alerte.
Par Mathilde Gracia
L'occasion de parcourir tout notre dossier Wikileaks.