Libé, et les électeurs invisibles du FN

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Le blanc, pour faire reculer le bleu marine.

C'est la dernière trouvaille de certains députés. Comptabiliser les votes blancs lors des élections, pour détourner certains électeurs occasionnels du FN. La comptabilisation du vote blanc est une excellente idée. Mieux qu'une bonne idée : une exigence civique. Il doit être possible de dire que l'on ne se reconnait pas dans "l'offre politique". Mais présenter cette réforme comme une manoeuvre désespérée anti-FN est la meilleure manière de la saborder. De toutes façons, pas de panique : aux dernières nouvelles, le PS donnerait son accord à la réforme, mais...après les prochaines municipales.

Les votes blancs, tiens, justement, les voici. Sans violence, sans bonnets rouges, ils ont pris le pouvoir à Libé ce matin. Justine l'étudiante de Béziers caissière à temps partiel, les artisans découragés d'Angers, le public populaire du théâtre de Valenciennes, Morgan la reporter de la radio bilingue de Centre Bretagne, ou encore Yann, désormais au chômage après s'être cassé les articulations dans un abattoir breton, à soulever des dindes de quinze kilos : le journal consacre ses premières pages à de beaux portraits, retentissant des cris de la France des invisibles, cette France à laquelle France 3 consacrait une soirée voici quelques semaines (et nous-mêmes, ici, une émission). Supermarchés qui réalisent leurs plus gros chiffre d'affaires le 5 du mois (jour du versement des prestations sociales), billets glissés aux parents pour qu'ils puissent remplir le réservoir de la voiture, déprimes silencieuses à l'abri des pavillons, malheur qui passe sous les radars.

On lit. Tout. Avidement. Mais, lecture fait de ces cinq reportages, reste comme un manque. Une absence. Ah oui, c'est bien ça : parmi tous ces Français que Libé a rencontrés, aucun n'envisage de voter FN aux prochaines municipales ou européennes. On lit et on relit. Même au fond de leur détresse, ils résistent. Ah si, un seul, à la fin du dernier reportage : c'est Pascal, 50 ans, patron d'une boîte de motoculture, rencontré dans un bistrot de Lorraine. Oui, lui, "malheureusement", admet-il, votera FN au premier tour, "mais j'espère qu'ils ne passeront jamais". Un seul, sur une vingtaine d'interviewés.De deux choses l'une : soit les sondages alarmants publiés (y compris dans Libé) sur les Français qui "n'excluent pas"de voter Le Pen sont mensongers, soit le journal n'a pas rencontré les Français de ses sondages.

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