Les motojournalistes traquent Macron, on traque le journalisme
Loris Guémart - - Médias traditionnels - 10 commentaires"On ne sait absolument pas qui est dans cette voiture"
Les chaînes de télévision ont déployé les grands moyens pour suivre en moto un Emmanuel Macron tout juste réélu. Elles se sont surpassées avec trois convois successifs, dont deux n'étaient pas le bon, et beaucoup d'erreurs à l'antenne. Un sentiment de déjà-vu.
Rien n'a changé depuis qu'en 1995, le journaliste de France 2 Benoît Duquesne était le premier à obtenir quelques mots de Jacques Chirac en suivant sa CX en moto : la poursuite du président de la République nouvellement élu (ou, en 2017, de celui qui accède au second tour face au RN) reste un must de la soirée électorale. Ce 24 avril 2022, les chaînes ont donc de nouveau dégainé leurs meilleurs pilotes… et elles ont été gâtées, avec trois convois au lieu d'un (ou de deux comme en 2017). Ce qui a donné lieu à trois fois plus d'interruptions de leurs invités sur les plateaux ("priorité au direct", intervient fermement Apolline de Malherbe sur BFMTV). À trois fois plus de séquences vaines lors desquelles les invités et animateurs peuvent montrer leur connaissance des noms de rues du Paris des pouvoirs. Et à trois fois plus de directs de journalistes politiques trimballés dans des essaims de motos et contraints de débiter des banalités à l'antenne - à l'exception de la chaîne Franceinfo, qui a à peine commenté les images de cette traditionnelle course-poursuite.
Les premières voitures officielles partent à 20 h 50 de l'Élysée. Sur France 2, Anne-Sophie Lapix tente de couper le président des Républicains Christian Jacob, qui a bien l'intention de terminer son intervention… peine perdue : elle lève alors la voix. Sur LCI, Paul Larrouturou indique : "On ne sait absolument pas qui est dans cette voiture." Quelques dizaines de secondes plus tard, ce convoi "dans lequel, nous avons quelques raisons de le croire, se trouve ou se trouverait Emmanuel Macron", est-il expliqué sur TF1, entre… à Matignon. Fou rire sur le plateau de France 2. "Ça ne valait pas le coup d'interrompre Christian Jacob", commente Laurent Delahousse. En effet.
Dix minutes plus tard, de nouvelles voitures sortent de l'Élysée. "C'est bien le cortège présidentiel", assure Apolline de Malherbe sur BFMTV. Sur France 2, le motojournaliste est plus indécis : le convoi "semble vraiment être celui du président de la République", mais "on me dit à l'Élysée qu'il n'est pas encore parti de l'Élysée", explique-t-il dans la même phrase. Ah. Côté LCI, aucun doute, on vient de suivre Emmanuel Macron, assure Paul Larrouturou devant l'entrée du Champ-de-Mars. "J'ai toqué à la fenêtre pour lui demander, éventuellement, s'il voulait réagir à ses 58 %", indique le journaliste, casque de moto sur la tête. "Clairement, il a dit qu'il ne souhaitait pas s'exprimer." Ou plutôt : personne n'a abaissé la vitre teintée sur laquelle a toqué Paul Larrouturou, qui brode complètement à l'antenne : ce n'est pas encore le bon convoi.
La troisième fois sera la bonne. À 21 h 23, la députée LFI Clémentine Autain, qui peinait à en placer une face à une Rachida Dati agressive et survoltée, est interrompue sur BFMTV pour montrer "le bon convoi présidentiel". Preuve à l'appui, explique France 2 : "Emmanuel Macron a ouvert sa fenêtre", décrit avec enthousiasme une Anne-Sophie Lapix pas rancunière. Cette fois-ci, Paul Larrouturou tient son président réélu. Mais pas de chance, "une voiture de police" a interrompu ses premiers mots, que le journaliste n'a pas entendu et que le micro n'a pas capté. Après avoir regardé toutes les chaînes en faire des caisses pour trois kilomètres dans Paris, et ce à trois reprises, on se demande s'il était bien nécessaire d'envoyer ces dizaines de journalistes et de motards poursuivre dans Paris toutes les voitures sortant de l'Élysée.