Le PDG d'Ubisoft et "l'agression" de Bolloré (Les Echos)

Robin Andraca - - 0 commentaires

"Bolloré se comporte avec nous comme un activiste" : dans une interview accordée aux Echos, Yves Guillemot, PDG d'Ubisoft, revient sur l'entrée de Vivendi au capital de l'éditeur français de jeux vidéo. Et annonce rechercher de nouveaux partenaires pour contrer Bolloré. En 2004, Ubisoft avait déjà dû faire face une autre offensive "hostile" : celle de l'éditeur américain Electronic Arts, qui s'était finalement désengagé six ans plus tard.

Les Echos, 28/10/2015

Depuis le 14 octobre, et l'entrée de Vivendi au capital d'Ubisoft, il n'avait pas dit un mot. Seul un mail interne, destiné à l'ensemble des collaborateurs d'Ubisoft, avait fuité dans Le Figaro : "L'action de Vivendi n'était ni sollicitée, ni désirée. Nous observons avec attention la situation, Vivendi et son président étant connus pour chasser de manière agressive des sociétés du domaine du divertissement", écrivait alors Guillemot.

Alors que Vivendi a depuis fait monter sa participation dans la société à 10,4%, devenant au passage l'actionnaire de référence d'Ubisoft, le PDG d'Ubisoft a enfin pris la parole, dans une interview accordée aux Echos : "Nous avons le sentiment d’avoir vécu une agression. J’ai reçu un appel de Vincent Bolloré deux heures avant l’annonce de son entrée dans le capital d’Ubisoft. Il ne m’en a même pas parlé ! Cela a duré cinq minutes, il m’a juste conseillé de rencontrer Arnaud de Puyfontaine (président du directoire de Vivendi, NDLR) pour parler des synergies possibles avec Ubisoft. J’ai dit « pourquoi pas», je ne refuse jamais le dialogue, et nous avions convenu d’échanger le soir même. Entre-temps, nous avons reçu un mail de Vivendi nous indiquant qu’ils étaient montés à 6% dans notre capital", raconte Guillemot, selon qui "prendre un pourcentage dans notre société sans discuter avec nous au préalable, ce sont des méthodes d'un autre temps".

Selon lui, et contrairement à ce que semble penser Bolloré, Vivendi et Ubisoft ne seraient pas "business-compatibles" : "Quand nous avons produit la série télé Les lapins crétins, Canal+ (appartenant à Vivendi, NDLR) et France TV étaient candidats pour la diffuser. Nous avons retenu France TV car ils étaient mieux disant. Avec Canal+, nous n’aurions pas dégagé la même rentabilité (...) Aujourd’hui, nous travaillons avec de multiples partenaires dans le monde, Sony Pictures, Warner, Fox… Nous ne pouvons pas nous réduire à un seul partenaire demain". Le PDG annonce d'ailleurs être à la recherche de nouveaux partenaires pour contrer l'arrivée de Bolloré.

Avant Vivendi, l'offensive "hostile" de l'éditeur américain Electronic Arts

Ce n'est pas la première fois que les frères Guillemot voient leur indépendance menacée. En 2004, une autre entreprise avait tenté de faire main basse sur Ubisoft : Electronic Arts (EA), qui édite quelques unes des licences les plus célèbres (et rentables) du jeu vidéo, comme le simulateur de vie Les Sims ou le jeu de foot FIFA, était entré au capital d'Ubisoft, à hauteur de 19,9%. A l'époque, l'éditeur américain pesait 27 fois plus lourd que l'éditeur français et les marchés anticipaient une prise de contrôle d'Ubisoft par EA. Mais "les deux sociétés ne sont jamais parvenues à s'entendre sur la stratégie du groupe, ni sur un éventuel prix de rachat", écrivait Reuters en 2010.

En 2004, déjà, Ubisoft n'avait pas accueilli à bras ouverts cette opération non sollicitée. Comme en 2015 avec Bolloré, le porte-parole d'Ubisoft avait indiqué à Reuters que cette offensive d'EA était considérée comme "hostile" et plusieurs sources indiquaient d'ailleurs que les cadres de l'entreprise française l'avaient appris... en ligne. Un temps pressenti pour intervenir et contrer les ardeurs d'EA, l’État avait finalement estimé, par la voix de son ministre délégué à l'industrie, Patrick Devedjian, que seul l'emploi était important, et pas la nationalité de l'entreprise. Selon jeuxvideo.com, Vivendi et Infogrames (un autre éditeur français de jeux vidéo, disparu depuis) avaient à l'époque été sollicités pour contrer l'offensive d'EA mais les deux avaient décliné, "en raison de dettes trop importantes".

Le Figaro, 2010

En 2010, Electronic Arts, dont les ventes avaient fondu depuis, s'était finalement désengagé d'Ubisoft. "Electronic Arts (EA) a décidé de vendre sa participation dans Ubisoft Entertainment. Nos priorités stratégiques ont changé depuis l'investissement initial", avait déclaré la société, dans un e-mail envoyé aux agences de presse. Ironie de l'histoire : Ubisoft pourrait bien avoir besoin, dix ans plus tard, d'EA pour s'échapper aux griffes de Bolloré : "Le clan Guillemot doit désormais fraterniser avec le groupe Vivendi et son dirigeant, ou chercher un chevalier blanc dans les leaders du divertissement américain tels que Disney, Time Warner, Viacom, etc., Même l’ennemi juré d’hier, Electronic Arts, pourrait aujourd’hui devenir un allié", estime l'analyste Charles-Louis Planade, interrogé le 22 octobre par Le Monde. Vous avez dit sac de nœuds ?

Lire sur arretsurimages.net.