Le journalisme culturel compromis par le marketing (La Revue du Crieur)

Vincent Coquaz - - Publicité - Déontologie - 0 commentaires

Au programme : voyages de presse, renvois d’ascenseur et pub cachée.

On connaissait les relations un peu rapprochées qu’entretiennent certains journalistes jeux vidéo avec l'industrie qu'ils couvrent (@si y consacrait une émission et un dossier). Mais La Revue du crieur (éditée par Mediapart et La Découverte) rappelle que le problème concerne le journalisme culturel dans son ensemble, dans une enquête signée du journaliste de Mediapart Dan Israel, par ailleurs ancien d’@si. Des "secrets inavoués" qui s’expliqueraient notamment par le statut de la culture dans des journaux à la peine financièrement : "Lorsque frappent les difficultés financières, les entorses se multiplient, notamment dans le domaine culturel, relativement déconsidéré dans les rédactions. Pour remplir les pages Culture, on hésite de moins en moins à accepter les largesses des institutions culturelles : voyages de presse, "partenariats" discrets et publi-information camouflée se multiplient".

Le voyage de presse, c’est cette pratique qui consiste pour une entreprise ou une institution, à inviter des journalistes pour un séjour tous frais payés, en France ou à l’étranger, en lien avec un évènement ou un produit. Exemple ? Au printemps 2015, Le Monde, Le Figaro, La Croix, l’Express, RFI ou encore France 2 ont tous parlé, au même moment, de l’histoire des castrats de Naples au 18e siècle, note La Revue du Crieur. "Les journalistes qui se sont penchés sur ce courant musical n’ont pas eu l’idée seuls. Et n’ont pas déboursé d’argent pour se déplacer. «C’est le château de Versailles qui a organisé un voyage de presse pour faire la promotion de son festival», glisse un participant."

Et aucun média n’a cru bon d’indiquer au lecteur le dispositif. À l’exception du chroniqueur de Télématin, qui expliquait que la présidente du château de Versailles, Catherine Pégard, avait "invité quelques personnes à faire un petit tour de reconnaissance" sur place. Le principal intervenant dans le sujet de France 2 sur l'histoire des castrats (6 minutes 30 tout de même) ? Laurent Brunner, directeur de "Château de Versailles spectacles".

Si la plupart des journalistes cités dans l'article de La Revue du Crieur le font sous couvert d’anonymat, l’un d’eux dénonce publiquement les pratiques décrites : Jérôme Garcin, patron du service Culture de l’Obs et animateur de l’émission de critique de France Inter, Le Masque et La Plume. "Tout voyage collectif est un non-sens journalistique pour moi, car il est impossible de faire une enquête journalistique entouré de 5 à 10 journalistes", affirme par exemple celui qui interdit "à ses troupes tout voyage de presse".

Mais le journaliste de Mediapart rappelle à quel point Garcin personnifie également un autre travers du journalisme culturel : le copinage et les renvois d’ascenseur, où "ceux qui tiennent un jour la plume pour évoquer le livre d’un écrivain ou d’un journaliste ayant de grandes chances de se retrouver dans la position inverse quelques mois plus tard". "N’a-t-il pas beau jeu de critiquer ce système, lui dont la position à la tête de l’émission culturelle phare d’Inter et des pages dédiées de L’Obs garantit à tous ses ouvrages un accueil plus que bienveillant ?" s’interroge Israel, prenant l’exemple de son dernier livre, Le Voyant, qui lui a valu "des dizaines d’éloges, parfois signés par ses chroniqueurs ou anciens chroniqueurs, ses collègues, ses amis écrivains ou journalistes".

Quand Le Point rend hommage à un film produit par Pinault

Dans la palette des entorses déontologiques des pages culture, l’article cite également "l’oubli" de la mention des liens d’intérêts. En pratique, cela passe par deux articles du Point "rendant hommage en octobre 2015 à La Glace et le ciel, le nouveau documentaire de Luc Jacquet" sans mentionner que le film est coproduit par Kering... propriété de François Pinault, par ailleurs propriétaire du Point. "Et lorsque Jean-Jacques Aillagon publie une tribune sur le site du magazine, comme il l’a fait six fois entre mai 2014 et février 2016, nulle part n’est précisé que l’ancien ministre de la culture est le conseiller officiel de François Pinault pour les questions artistiques…"

Le panorama ne serait pas complet sans parler des annonceurs, qui avancent masqués dans le domaine culturel encore plus qu’ailleurs. La Revue du Crieur cite notamment le cas des Inrocks, qui a publié des suppléments entièrement financés par des annonceurs, sans que cela soit clairement indiqué, comme le rapportait @si dans le cas d'un cahier sur le tourisme en Suisse. Un procédé qu’affectionne particulièrement Le Monde : après la mystérieuse affaire du supplément sur la Fondation Louis Vuitton, grassement payé par LVMH comme @si l'expliquait ici, le quotidien a également facturé entre 40 000 et 120 000 euros des suppléments sur la Philharmonie de Paris ou sur la Fondation Clément, sans aucune mention du caractère publicitaire. Seul lot de consolation : "Les suppléments réalisés depuis mai dernier sont désormais plus clairement identifiés, portant la mention«Ce supplément est réalisé avec le soutien de…»"

L'occasion de relire notre enquête : "Quand LVMH s'offre des grands plumes du Monde"

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