Le féminisme du "Média" contredit par sa gestion (de crise)

Maurice Midena - - Nouveaux medias - 240 commentaires

La quatrième saison du "Média", enfin devenu une coopérative, devait être la bonne après les ères Chikirou, Lancelin et Robert. Mais son nouveau triumvirat dirigeant, mis sous pression par d'énormes pertes, a fait retomber les conséquences de cette crise financière sur les femmes : elles constituent l'essentiel des salarié·es précaires du "Média" et ont des difficultés à permettre à la webtélé d'assumer sa ligne éditoriale "féministe".

Août 2021, conférence de rédaction au Média. Comme dans bien des entreprises, l'heure est aux réunions en visioconférence. Aux manettes, Théophile Kouamouo, rédacteur en chef de cette quatrième saison. La journaliste Maud Le Rest, pigiste au Média – elle a depuis collaboré avec ASI–, lui propose un sujet sur les féminicides. Mais la réponse de Kouamouo est négative : il n'a pas de budget, le Média est financièrement sur les rotules. La journaliste l'interpelle alors sur le récent recrutement d'un nouveau chroniqueur, et un projet de reportage sur des violences policières à Marseille de Taha Bouhafs (finalement annulé), qui ont l'air de moins poser problème. Kouamouo s'emporte au quart de tour, vocifère, estime que la journaliste n'a pas son mot à dire. Le Rest se déconnecte de la réunion en pleurs. Après son départ, Kouamouo la traite de "folle" devant les autres salariés. "Toute la rédaction était en état de sidération", se souvient auprès d'ASI le journaliste Rémi-Kenzo Pagès, élu SNJ-CGT du Média"Je l'ai juste remise à sa place. Elle était pigiste. Elle n'avait rien à faire en conférence de rédaction", commente aujourd'hui Kouamouo – plusieurs témoins assurent à ASI que la présence des journalistes indépendants était habituelle. "Si je l'ai dit (le terme de "folle", ndlr), ce n'est pas devant elle." Ambiance.

Cette funeste conférence de rédaction de la jeune coopérative nous est décrite par plusieurs témoins comme symbolique d'un management brutal et parfois agressif, notamment envers les femmes. Gênant, alors que les cinq journalistes de la rédaction du Média sont des hommes (pour un total de douze salariés dont deux femmes selon la direction). Les femmes journalistes, elles, forment le gros du bataillon des pigistes, ces journalistes indépendants qui travaillent à la tâche – ce qui n'est pas sans effet sur les sujets traités par la webtélé, loin du féminisme affiché dans son manifeste. Pourtant, l'embauche d'au moins une d'elles était soutenue par la rédaction. Mais elle a été rejetée au profit d'un homme par la direction composée de Théophile Kouamouo, rédacteur en chef adjoint devenu rédacteur en chef de fait, ainsi que de Julien Théry et Bertrand Bernier formant un "directoire de transition" pour l'association. Un trio confronté à des pertes mensuelles de 50 000 euros, massives à l'échelle de la webtélé car équivalentes aux recettes selon le SNJ-CGT (dans le Monde, Kouamouo évoque "un petit déficit structurel" de 30 000 à 50 000 euros mensuels) . Plongée dans une année 2021 mouvementée au Média, issue d'une dizaine d'entretiens menés avec des employés passés ou présents, et de nombreux documents que nous avons pu nous procurer.

L'embauche de Taha Bouhafs privilégiée à celle d'une femme

En décembre 2020, la rédaction, informée par la direction de son souhait de recruter le journaliste Taha Bouhafs, pose cependant une condition : l'embauche d'une journaliste dédiée aux questions de genre. Selon un journaliste, la demande est acceptée, une offre d'emploi est publiée, la rédaction rencontre plusieurs candidates de janvier à mars, et choisit Maud Le Rest. Mais le triumvirat de direction annule finalement l'embauche prévue. La journaliste devra se contenter de piges – Théophile Kouamouo a précisé "régulières"en commentaire de cet article. Auprès d'ASI, Julien Théry réfute avoir donné une quelconque autorisation de recrutement à la rédaction, y voyant une tentative de "forçage" de la part d'une rédaction qui souhaite avoir son mot à dire depuis l'éviction de Denis Robert et le passage en coopérative. "Un certain nombre de journalistes ont estimé que la priorité était de recruter une femme, souligne-t-il. Pour le directoire, la priorité est de survivre." Quitte à privilégier une star de la gauche et ses 100 000 abonnés sur Twitter. Une star pas forcément assidue au travail – comme Marianne l'avait révélé dans un portrait acide –, ce que bien des salariés nous ont confirmé, mais souvent efficace pour obtenir des informations exclusives profitant à la webtélé.

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