Julien Bahloul, ex de Tsahal, simple "habitant de Tel-Aviv" pour BFMTV

Yann Mougeot - - Déontologie - 80 commentaires

Julien Bahloul a été interrogé pas moins de sept fois par BFMTV, entre le 5 et le 7 août, sur les affrontements entre l'armée israélienne et le Djihad islamique. Le problème ? En trois jours d'antenne, la chaîne d'information en continu n'a jamais évoqué ni le parcours ni les affiliations de cet ancien militaire franco-israélien, qu'elle présente soit comme un "expert", soit comme un simple "habitant de Tel-Aviv".

"Julien, vous êtes habitant à Tel-Aviv", lance Anthony Lebbos du service politique de BFMTV, ce 7 août 2022, pour présenter Julien Bahloul, un Franco-israélien interrogé sur ses conditions de vie en Israël alors que s'affrontent l'armée israélienne et le Djihad islamique. "Je voudrais juste revenir sur un point", rétorque Julien Bahloul. Il poursuit, s'adressant au journaliste  : "Vous venez de mentionner la mort de six enfants palestiniens. Je rappelle que la mort de cinq d'entre eux était due, non pas à une frappe israélienne mais à un tir de roquette du Djihad islamiquequi a raté et est tombé du côté palestinien". Pour un simple habitant, Julien Bahloul semble très informé. 

Plus tôt dans la matinée, des journalistes de BFMTVl'invitaient déjà à témoigner de l'ambiance qui règne à Tel-Aviv. Rebelote à 15 h, où le Franco-israélien est de nouveau convié par la chaîne d'information en continu. Il est, cette fois, présenté sous un titre qui ne veut pas dire grand-chose : "spécialiste de la société israélienne"Interrogé sur le système de protection anti-missiles israélien, il se livre ensuite à une analyse géopolitique du cessez-le-feu, conclu le jour même entre le Djihad islamique et Israël. Il est écouté avec attention. Deux heures plus tard, son interview est rediffusée.  À 19 h, cet "habitant de Tel Aviv" est de retour en plateau, déchu cette fois de sa qualification de "spécialiste", pour évoquer les frappes de missiles qui touchent sa ville et, une nouvelle fois, le cessez-le-feu entre le Djihad islamique et Israël.  

La veille, vers 9 h, puis quelques heures plus tard, Julien Bahloul intervenait déjà sur le plateau de BFMTV, tout comme dans la soirée du 5 août. Arrêt sur images a pu retrouver pas moins de sept passages de Julien Bahloul sur BFMTV en moins de trois jours. L'une de ces interviews a même été rediffusée. Pas une seule fois les journalistes de la chaîne d'information en continu n'ont pris la peine de justifier le crédit apporté à la parole du Franco-israélien et à ses multiples invitations (voir notre montage ci-dessous). C'est l'invité qui se dévoile quelque peu, comme dans son interview du 5 août. "Je suis en contact avec l'armée israélienne pendant toutes les périodes de crise", y assure-t-il, expliquant en avoir été également réserviste.

Pourtant, lorsque que Julien Bahloul s'exprime sur son plateau le 7 août, la journaliste Elisa Trannin ne prend aucune distance vis-à-vis de ses propos. "Comme le dit l'habitant de Tel-Aviv, un cessez-le-feu devrait avoir lieu", ose-t-elle, en réponse à son intervention. De son côté, le présentateur Loïc Besson sépare l'homme de l'expert : "Vous êtes spécialiste de la société israélienne mais, en fait, on voudrait surtout avoir votre ressenti d'habitant, tout simplement". En choisissant de faire de Julien Bahloul un incontournable de ses émissions consacrées aux conflit israélo-palestinien, BFMTV fait un choix politique. Mais surtout, en omettant de présenter son parcours et ses affiliations, la chaîne d'information en continu trompe ses téléspectateurs. Car Julien Bahloul est tout sauf un simple "habitant de Tel-Aviv" et ne peut certainement pas prétendre représenter les civils innocents touchés de part et d'autre par le conflit. 

Ex-porte-parole et ex-community manager de l'armée israélienne, ex-journaliste à i24news

Représentant de l'Association des pères homosexuels d'Israël, Julien Bahloul est loin d'être un inconnu. Sur son compte Twitter suivi par plus de 50 000 internautes, il affiche un soutien quasi inconditionnel à l'égard de Tsahal, l'armée israélienne. Marianne le range, dans un article paru en mai 2021, parmi d'autres "propagandistes bien français" qui veulent peser sur la perception du conflit israélo-palestinien dans l'Hexagone. Et pour cause : Julien Bahloul a été le community manager de l'armée israélienne entre 2012 et 2013. Sur son profil LinkedIn, il assure même avoir été le "fondateur" du bureau français de Tsahal. Mais surtout, Julien Bahloul y a occupé le poste de porte-parole réserviste pendant près de deux ans. Une expérience aussi affichée sur LinkedIn, où il pose en uniforme. Il y est indiqué que le Franco-israélien a officié, de décembre 2018 à janvier 2022, pendant "les périodes de crise"

À ce titre, Julien Bahloul s'est exprimé à plusieurs reprises, en tenue militaire, au nom de l'armée israélienne. Sur la chaîne i24News, il se fait le porte-voix de Tsahal dès mars 2019. En mai 2021, il y affirme qu'Israël détiendrait "une longue liste de cibles" qu'elle n'hésiterait pas à viser "si l'ordre est donné".  À la lumière de ces éléments, il est difficile de comprendre comment BFMTV peut présenter l'ancien militaire comme un simple "habitant de Tel-Aviv", ou même comme un "expert de la société israélienne".  Mais ce n'est pas tout. Pendant près de cinq ans, Julien Bahloul a aussi exercé en tant que journaliste et présentateur d'i24news, la chaîne qui a ensuite relayé ses interventions en uniforme. Lancée en 2013 par Patrick Drahi, fondateur du groupe Altice dont fait aussi partie BFMTV, i24news a été pensée comme une alternative à la chaîne qatarie Al Jazeera, et son objectif serait "d'améliorer l'image d'Israël" ; nous vous en parlions dès 2014. L'ancien militaire y a notamment présenté le journal du matin et réalisé des reportages.

Julien Bahloul fait aussi régulièrement irruption sur les plateaux d'autres médias français tels que CNews ou France 5, la chaîne publique l'ayant invité en tant que "bloggeur", en 2021, pour parler du déconfinement en Israël. Sur Twitter, il se présente entre autres comme un "spécialiste de la société israélienne" et comme un "amoureux de Tel-Aviv". Une courte description qui semble avoir inspiré les journalistes de BFMTV. On apprend aussi sur sa page LinkedIn que Julien Bahloul travaille désormais comme "responsable du développement commercial" dans une entreprise israélienne spécialisée dans le "marketing d'intention", Natural Intelligence. 

Bahloul répond aux critiques, la SDJ de BFMTV aussi

Comme ASI, de nombreux téléspectateurs attentifs ont relevé la présentation trompeuse de BFMTV.  Devant les réactions, Julien Bahloul se fend d'un premier tweet, le 8 août :"Aux trolls qui s'excitent : Je vais vous aider : oui j'ai été journaliste. Oui j'ai fait mon service militaire en Israël. Oui j'ai servi en réserviste en porte-parole dans le passé". Quelques heures plus tard, il réagit de nouveau, tournant en dérision ceux qui critiquent l'omission de BFMTV. "Je viens de comprendre !", écrit-il, avant de poursuivre : "Sur Twitter, « c’est un soldat de Tsahal » is the new « il est payé par Pfizer »". 

Le principal concerné admet sa proximité avec l'armée israélienne. La faute revient donc, en premier lieu, à la rédaction de la chaîne d'information en continu. Auprès d'ASI,  Régis Desconclois, de la société des journalistes (SDJ) de BFMTV, reconnaît une "erreur" : "Il y a effectivement des liens entre Julien Bahloul et Israël que nous n'avons pas manifestement présentés à l'antenne". Le journaliste assure s'être entretenu avec sa direction dès la diffusion des passages incriminés. "Notre rédactrice en chef, en charge ces jours-là, a reconnu la faute. Il n'y a jamais eu la volonté de cacher quoi que ce soit", raconte-t-il. Il précise : "Julien Bahloul était interrogé sur sa situation personnelle à Tel-Aviv, sur sa vie avec ses enfants. Notre rédactrice en chef a donc jugé qu'il était acceptable de le présenter comme un «habitant»". La direction de BFMTV demande alors à ses journalistes de rectifier le tir et de toujours présenter Julien Bahloul de la même manière.  Une requête qui sonne le retour du "spécialiste de la société israélienne", ce qui distingue certes Julien Bahloul du simple citoyen israélien, mais qui entretient toujours l'opacité autour de ses intérêts et affiliations. Contactés, la direction de BFMTV ni Julien Bahloul n'ont répondu à nos sollicitations. 

Une interview d'Alain Gresh supprimée du site de BFMTV

Ces derniers jours, la chaîne d'information en continu a fait face à d'autres accusations. Le 7 août, jour où Julien Bahloul intervient quatre fois en plateau, BFMTV invitait le journaliste Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et fondateur du média Orient XXI. Celui-ci porte une parole très critique à l'égard d'Israël, qui "serait à l'initiative de l'escalade" du conflit avec les groupes armés palestiniens. Alors que le journaliste veut partager son interview avec ses abonnés Twitter, il s'aperçoit qu'elle a été retirée du site de BFMTV. Certains internautes, à l'image de la journaliste Sihame Assbague, accusent la chaîne de censure. 

Après une première invitation annulée au dernier moment, Alain Gresh s'est finalement réexprimé sur le conflit israélo-palestinien en plateau, le lendemain aux alentours de 15h. Une interview rendue, cette fois, disponible sur le site internet de BFMTVSollicité à ce sujet par Libération, le directeur de la communication d’Altice France, François Raineteau a assuré que le premier extrait avait été retiré "pour éviter toute manipulation" car il "était tronqué". La chaîne rappelle d'ailleurs que "l’intégrale de la tranche est évidemment disponible sur RMC BFM PLAY (le replay de la chaîne, ndlr), et donc accessible à qui veut". À ASI, Alain Gresh a indiqué ne pas avoir eu d'explications supplémentaires sur le sujet. Reste que lorsqu'il s'agit de présenter un ancien porte-parole réserviste de Tsahal comme un simple "habitant de Tel-Aviv", BFMTV n'a pas tant d'états d'âme.


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