Hind Rajab n'a pas été "retrouvée morte", mais "tuée par un tir israélien"

Pauline Bock - - (In)visibilités - 19 commentaires

Écrire que la fillette gazaouie a été "retrouvée morte", "cela laisse entendre qu'elle est morte d'une cause inconnue"

La petite Hind Rajab, six ans, a été tuée avec sa famille fin janvier par des tirs israéliens dans le sud de Gaza, alors qu'ils tentaient de fuir les combats. Dans les articles sur la découverte de sa dépouille le 10 février, les médias écrivent que la fillette a été "retrouvée morte", sans toujours préciser qu'elle a été tuée par l'armée israélienne. Un flou bien trop habituel dans la couverture médiatique des morts palestinien·nes.

Hind Rajab avait six ans. Elle a été tuée avec plusieurs membres de sa famille par des tirs de l'armée israélienne, alors qu'ils tentaient de fuir les combats à Tel al-Hawa, dans le sud de Gaza, fin janvier. Dans un enregistrement d'un appel passé par la petite fille au Croissant Rouge palestinien, diffusé par l'ONG, on l'entend appeler au secours pendant de longues minutes. Elle est alors la seule survivante dans la voiture visée par les tirs, et supplie : "J'ai si peur, s'il vous plaît, venez !" Deux ambulanciers envoyés par le Croissant rouge pour porter secours à la petite fille n'ont jamais atteint la voiture où elle attendait de l'aide : leur ambulance a été retrouvée non loin des dépouilles de Hind et sa famille, détruite par une frappe israélienne. Voilà pour les faits.

Hind Rajab, "retrouvée morte" ou "tuée" ?

Une fois sa dépouille retrouvée le 10 février, la majorité des articles écrits sur Hind Rajab par les médias français titrent sur le fait que la petite fille a été "retrouvée morte". Libération, qui adapte une dépêche de l'AFP, titre : "La fillette de 6 ans disparue dans les combats a été retrouvée morte". Et ajoute dans le sous-titre que "Hind Rajab et d'autres membres de sa famille avaient été touchés par des tirs de chars le 29 janvier". L'origine des chars n'est précisée que dans le corps du texte : "Leurs dépouilles ont été découvertes ce samedi 10 février au matin, dans un véhicule près d'une station essence du quartier de Tel al-Hawa, après le retrait de la zone des chars israéliens à l'aube. Ils étaient en voiture dans la ville lorsqu'ils avaient été touchés par des tirs de chars." Le Figaro titre sur "les derniers mots d'Hind Rajab, fillette morte à Gaza": l'article parle de "la mort"de la fillette et explique qu'elle "s'était retrouvée au milieu d'une opération israélienne et aurait été touchée par des tirs de chars". Le quotidien note aussi que les ambulanciers du Croissant rouge palestinien "ont trouvé la mort pendant l'opération de secours", sans préciser comment. Pas une fois le Figaro n'écrit que Hind ou sa famille ont été"tués" - le mot est absent de l'article. De très nombreux autres titres de presse choisissent également de titrer sur le fait que la fillette a été "retrouvée morte", sans expliciter les conditions de sa mort dans le titre. C'est le cas de Paris Match ("la petite fille disparue retrouvée morte"), la Voix du Nord ("la petite Hind a été retrouvée morte dans une voiture"), l'Obs ("la fillette disparue à Gaza qui avait appelé au secours retrouvée morte"), TF1 ("Hind retrouvée morte dans la bande de Gaza") ou encore France24 ("la petite Hind Rajab a été retrouvée morte").

D'autres médias parviennent à écrire que Hind a été "tuée". C'est le cas de Franceinfo, qui a interviewé la standardiste du Croissant rouge ayant pris l'appel de Hind et titre sur la "fillette tuée à Gaza". "Pendant plus de trois heures, elle fait face à des chars israéliens qui auraient ouvert le feu", écrit Franceinfo. Le Parisien titre sur Hind, "tuée à Gaza"... mais explique ensuite dans des termes flous que "le corps sans vie de Hind Rajab a été retrouvé" dans une zone "auparavant inaccessible en raison de la présence israélienne". L'article note que "le Hamas et sa famille accusent l'armée israélienne d'avoir tué [Hind et les siens] lors d'intenses combats dans la bande de Gaza", mais n'écrit jamais clairement qui a "tué" Hind. Pour Ouest-France, Hind Rajab est devenue "le petit visage des milliers de civils tués à Gaza". Mais les circonstances de sa mort demeurent floues dans l'article, qui explique d'abord que "Hind Rajab est morte, probablement le 29 janvier - on ne sait pas exactement, car son corps n'a été retrouvé que le 10 février, douze jours après, quand les secours ont enfin pu s'approcher du secteur après que l'armée israélienne s'en est retirée" (sic) puis, enfin - mais seulement au quatrième paragraphe - queHind était "coincée dans la voiture familiale sous les tirs israéliens". Sans écrire clairement que ce sont ces "tirs israéliens" qui l'ont "tuée".

Le "Monde" titre sur Hind, "tuée par un tir israélien"

"Hind Rajab, 6 ans, tuée par un tir israélien avec sa famille à Gaza : « J'ai si peur, s'il vous plaît, venez »". Le titre de l'article du Monde, publié le 12 février, ne laisse aucune place au doute. 

"Le Croissant-Rouge palestinien accuse Israël d'avoir visé «délibérément» l'ambulance envoyée pour la secourir", ajoute dès le sous-titre l'autrice de l'article, Clothilde Mraffko. La journaliste retrace les derniers moments de Hind, au téléphone avec le Croissant rouge palestinien, "la seule survivante parmi les passagers de la voiture où elle se trouve, coincée sous les tirs israéliens". Puis, "quand les forces israéliennes se sont retirées de la zone", la découverte de la "dépouille mortelle de la petite Gazaouie", "retrouvée avec celle des autres occupants de la voiture". "À quelques mètres de là, l'ambulance dépêchée par le Croissant-Rouge a également été reconnue, pulvérisée par une puissante explosion, avec, à l'intérieur, le corps des deux secouristes, Youssef Zeino et Ahmed Al-Madhoun", écrit la correspondante du Monde, qui cite le communiqué du Croissant rouge palestinien nommant sans détour "l'occupation [israélienne]" qui "a délibérément pris pour cible l'ambulance, immédiatement après son arrivée sur les lieux, car elle a été retrouvée à quelques mètres du véhicule où se trouvait Hind". La journaliste précise aussi que l'armée israélienne "n'a pas répondu aux questions du Monde". À la lecture du quotidien du soir, aucun doute sur les circonstances et les responsables de la mort de la petite Hind Rajab. Elle n'a pas été "retrouvée morte" par hasard : elle a été "tuée par un tir israélien avec sa famille". Et ça change tout.

"Écrire «Retrouvée morte», ça laisse entendre qu'elle est morte d'une cause inconnue"

Contactée par Arrêt sur images, Clothilde Mraffko explique qu'il est important d'écrire que "Hind a été tuée, et non pas qu'elle est morte". "Sinon, cela laisse entendre que c'était un incident, qu'elle est morte d'une cause inconnue. Elle a été tuée, avec les membres de sa famille, leur véhicule a été la cible de tirs alors qu'ils étaient en train d'évacuer une zone, comme on leur avait ordonné, pour fuir les combats." Mais si les mots n'ont pas été bien choisis par tous les médias, elle salue l'ampleur de l'écho qu'a reçu l'histoire de la petite Hind en France : "Il y a un infléchissement : désormais, on a un visage, la voix d'une petite Gazaouie, qui incarne un fragment des massacres en cours dans l'enclave."

La journaliste a passé cinq ans à Jérusalem, à piger pour de nombreux médias dont le Monde, et a pu observer les réticences des médias occidentaux à mettre les mots justes sur les morts palestiniennes. "Lors des marches du retour, en 2018, à Gaza, où on avait une foule de Palestiniens qui allaient vers la barrière qui sépare l'enclave du territoire israélien, les snipers israéliens étaient postés juste derrière le grillage, se souvient-elle. On n'avait aucun doute sur l'origine des tirs, et pourtant, cela n'était pas toujours mentionné." Cette difficulté à nommer clairement les responsables dans les médias occidentaux remonte en effet à loin, bien avant le 7-Octobre et le début du conflit à Gaza. En 2022, comme nous vous le racontions alors, il avait fallu des mois et une enquête de l'ONU pour que les médias décrivent le meurtre de la correspondante-star d'Al-Jazeera en Palestine, Shireen Abu Akleh, comme tel, et indiquent clairement l'armée israélienne comme responsable. 

Même problème, en octobre 2023, lors du tir de missile israélien qui a tué le journaliste Issam Abdallah, vidéaste pour Reuters, alors qu'il travaillait pour l'agence à la frontière libanaise avec Israël. Là aussi, comme nous le relations alors, les médias occidentaux ont à nouveau pris énormément de pincettes, annonçant sa mort à la "voix passive". Y compris l'agence Reuters qui l'employait et qui, jusqu'à la publication deux mois après sa mort d'une enquête prouvant qu'il avait été visé directement par un tir israélien, avait écrit qu'Issam Abdallah avait "été tué", sans préciser clairement par qui.

Pour Clothilde Mraffko, il est important que l'histoire de Hind Rajab résonne médiatiquement. "Jusqu'alors, les Gazaouis sont largement évoqués par des chiffres, faute aussi de pouvoir accéder au terrain, dit-elle. On ne sait rien des vies qui se cachent derrière tous ces Palestiniens tués."

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