Grèce, l'art du commentaire borgne

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Et maintenant, le FMI s'en mêle. Je veux dire qu'il s'en mêle vraiment.

Au sommet de Bruxelles du week-end dernier, les Européens se sont faits "sermonner" par le directeur général adjoint John Lipsky, qui remplace Qui-vous-savez. Et qui a enjoint les Européens de cesser leurs enfantillages "improductifs", et d'exiger de la Grèce que le plan de rigueur soit vraiment voté avant la fin du mois. C'est raconté dans Les Echos, et parait-il (disait ce matin sur France Inter Philippe Lefébure) aussi dans Le Figaro (pas en ligne à l'heure du matinaute). Deux leçons: d'abord, alors que des dizaines de journalistes devaient suivre le sommet des ministres à Bruxelles, il faut attendre quarante-huit heures pour apprendre, dans deux journaux français, ce qui s'y est vraiment passé. Ensuite, en apprenant ce sermon de Lipsky aux Européens, on se demande ce qui se passerait si la patronne du FMI s'appelait Lagarde. Serait-elle, elle-même, en position de faire la leçon à ces laxistes d'Européens fauchés ? On peut s'attendre à voir resurgir, à son encontre, le thème du "conflit d'intérêt" évoqué il y a quelques jours par son rival mexicain Carstens. Avec une certaine crédibilité.

Après le sermon de Lipsky, ajoutent Les Echos, France et Allemagne"se sont résolus à mettre un terme à leur querelle sur la participation du secteur privé". Ah boooon ! Ce n'était donc que ça ! Ce débat sur la participation des banques à la solution de la crise grecque, dont je vous entretenais hier, n'était donc qu'une "querelle" ! Et il suffisait que le pion Lipsky fronce les sourcils, pour que France et Allemagne, morveux, rejoignent chacun son côté de la cour de récré. Comme les choses sont simples, parfois.

J'ai en tout cas le regret de vous annoncer que la bouteille d'ouzo, promise hier au commentateur français (journaliste ou @sinaute) qui expliquera l'attitude de l'Allemagne autrement que par la stupidité inconséquente de la chancelière, n'a pas encore été gagnée. Elle ne le sera pas, en tout cas, par mon excellent confrère de Libération Jean Quatremer, dont je vous recommande la synthèse d'aujourd'hui (accès payant). Si vous voulez savoir comment l'Allemagne a "aggravé" la crise par son "incompréhension des marchés financiers", comment Merkel s'est finalement "laissée convaincre" par Sarkozy mais "trop tard", comment Merkel vient à nouveau "sous l’œil incrédule de la BCE et de ses partenaires", de "mettre le feu aux marchés" en obligeant les banques à porter leur part du fardeau, ne ratez pas cette synthèse. Attention: je ne dis pas que ce récit est faux. Je dis simplement qu'il est borgne, passant par exemple sous silence les conditions usuraires imposées aux Grecs, pour le plus grand profit des banques. Pourquoi ces oublis sélectifs, venant d'un éminent spécialiste ? Mystère. Pour affiner l'analyse, et répondre à mon bon ami Aphatie, fort marri de la chronique d'hier (c'est ici, je fais des liens, moi!) je ne pense pas du tout que ces éléments de langage aient été ronéotés par l'Elysée ou le lobby bancaire à destination de quelques éditocrates. Je pense plutôt que les non-spécialistes de l'économie, quand ils doivent traiter de questions qu'ils ne connaissent pas, sont parfaitement capables de se transformer tout seuls, comme des grands, en commentateurs footballistiques à la TF1. D'un match France-Allemagne par exemple.

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