Glyphosate : Monsanto fait la guerre aux experts (Le Monde)
Anne-Sophie Jacques - - Investigations - 0 commentairesLe glyphosate, classé "cancérogène probable" par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ? Il n’en fallait pas moins pour que le groupe américain Monsanto, dont le produit phare RoundUp est essentiellement composé de ce pesticide, organise la contre-attaque, comme le raconte aujourd’hui Le Monde.
Dans une longue enquête signée Stéphane Foucart (invité sur notre plateau consacré aux OGM mais aussi aux climatosceptiques) et Stéphane Horel (spécialiste entre autre des perturbateurs endocriniens), on découvre les manœuvres mises en place par Monsanto – et plus largement par l’industrie chimique et agrochimique – pour disqualifier le CIRC, institution "chargée depuis près d’un demi-siècle, sous les auspices de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de dresser l’inventaire des substances cancérogènes".
Objet de cette cabale ? Le CIRC, qui a rendu les conclusions de sa monographie dite 112 sur le glyphosate le 20 mars 2015, est formel : le pesticide le plus utilisé de la planète, commercialisé depuis 1974 et dont l’usage est passé, en 40 ans, de 3 200 tonnes à 825 000 tonnes annuelles, est "génotoxique – il endommage l’ADN –, cancérogène pour l’animal et «cancérogène probable» pour l’homme". Les journalistes rappellent également que ce pesticide, mis au point par Monsanto, est "la clef de voûte" du modèle économique de la firme américaine qui "a construit sa fortune en vendant et le RoundUp et les semences qui le supportent".
Las ! Monsanto a donc entrepris une "opération intoxication" visant les scientifiques du CIRC mais aussi ceux du collegium Ramazzini, institut italien composé de 180 spécialistes en santé environnementale et professionnelle. Ce dernier a annoncé le lancement de sa propre étude sur le glyphosate. L'opération de Monsanto prend des formes classiques – actions légales et juridiques ou encore pressions diverses et variées – mais aussi des formes fumeuses. Ainsi, nous apprend Le Monde, un faux journaliste du nom de Christopher Watts a entrepris d'interroger les scientifiques qui ne se doutaient de rien puisque l’homme possédait une adresse mail liée au magazineThe Economist. Or l’hebdomadaire britannique assure n’employer aucun journaliste du nom de Watts. Selon Le Monde, l’usurpateur est surtout le fondateur d’une société de conseil en renseignement pour les entreprises.
Cette contre-attaque, qui s’est accrue depuis l’arrivée de Donald Trump (lequel, comme nous le racontions ici, démantèle peu à peu les lois de protection de l’environnement), se joue également via les médias et sur les réseaux sociaux. Foucart et Horel rendent compte de tribunes rédigées par "un escadron de propagandistes" pro-Mosanto et publiées notamment dans"The Hill, un site politique de lecture obligatoire pour tout acteur de la vie parlementaire à Washington". Les journalistes racontent également que, selon des mémos transmis par les cabinets d’avocats, "Monsanto a recours à des entreprises tierces qui «emploient des individus, en apparence sans connexions avec l’industrie, pour laisser des commentaires positifs en marge des articles en ligne, et des posts Facebook, afin de défendre Monsanto, ses produits chimiques et les OGM»".
Mieux : "le lobby américain de la chimie a ouvert un front sur les réseaux sociauxsous la forme d’une «campagne pour l’exactitude dans la recherche en santé publique». But annoncé : obtenir une «refonte» du programme des monographies du CIRC. Sur un site dédié et au long d’un fil Twitter, la puissante organisation de lobbying range les pincettes : «Un morceau de bacon ou un morceau de plutonium ? C’est du pareil au même selon le CIRC.» Le texte est accompagné d’un photomontage montrant deux barres vert fluorescent qui trempent dans des œufs au plat".
Et le quotidien de rappeler que "le CIRC a en effet classé, en octobre 2015, la charcuterie «cancérogène» certain et la viande rouge «cancérogène probable», comme le glyphosate". Cette étude, à l’époque survendue en Une du Monde comme nous le racontions ici, est aujourd’hui moquée par le lobby de la chimie qui a décidé d’avoir la peau de l’organisation internationale de référence en matière de cancer… et in fine la peau des consommateurs ?