Gardanne, les petits poissons, et les écrans plats
Daniel Schneidermann - - Alternatives - 0 commentairesC'est un trou d'arsenic, où chante la Mediterrannée.
C'est un joli coin, qui porte un nom qui donne envie : le canyon de Cassidaigne. C'est dans ce canyon, situé à 7,7 kilomètres de Cassis, (par 320 mètres de fond exactement), que l'usine Alteo de Gardanne (anciennement Pechiney) déverse depuis 1966 les déchets de son exploitation d'alumine, les fameuses boues rouges, déchets dont le taux en aluminum, en arsenic et en fer, dépasse les seuils légaux. Plus de 20 millions de tonnes y ont déjà été déversées. Et cela continuera, puisque le conseil d'administration du Parc des Calanques vient d'autoriser la poursuite des rejets (seulement les rejets liquides, notez. Les rejets solides sont priés d'aller se faire rejeter ailleurs, même si on ne sait pas très bien où). 400 emplois sont à la clé. Et l'usine fait travailler 300 sous-traitants.
Quel est le problème ? me demanderez-vous. Ca fait un demi-siècle que ça dure. Et la mer est toujours aussi bleue. Et les poissons, qui ne sont pas des imbéciles, ont déserté le canyon de Cassidaigne. Oui mais voilà. Si les rejets solides cessent, le plancton pourrait revenir. Et avec lui, donc, les poissons, qui se nourriront donc du délicieux plancton engraissé à l'aluminium et à l'arsenic. Bon appétit. Vous me direz que l'on ce ne sont pas les seules délicieuses substances que l'on ingurgite, dès lors que l'on se nourrit de fruits, de légumes ou de viande. Si vous voulez en avoir une vision d'ensemble, je ne saurais trop vous conseiller de lire le dernier livre de Fabrice Nicolino, "un empoisonnement universel" (Ed. Les liens qui libèrent, en vente le 17 septembre), fresque historique fascinante de l'ascension et de la domination de l'industrie chimique sur notre petite planète.
A quoi sert cette alumine, fabriquée à Gardanne ? A un tas de choses, et notamment à la fabrication de télés à écran à cristaux liquides. C'est un secteur d'avenir. On n'est pas près de se lasser des télés à écran plat. Attention, je me mets en mode de culpabilisation écolo : à chaque fois que vous allumez votre télé à écran plat, vous empoisonnez les petits poissons du canyon de Cassidaigne. Vous me direz que ce n'est pas le seul geste, anodin d'apparence, qui saccage les équilibres écologiques. A chaque fois que vous envoyez un mail, que vous regardez une vidéo sur YouTube, à chaque recherche Google trop imprécise, avez-vous une idée de la masse de CO2 que vous envoyez dans l'atmosphère ? Cette fois, je tire cette information du dernier livre de Jade Lindgaard, journaliste à Mediapart, "Je crise climatique", (Ed. La découverte), reportage à la première personne sur les petits gestes qui sont bons pour la planète (ou pas). Tout cela pour vous dire que je ne lis pas seulement les livres dont on parle aux radios du matin et aux infos du soir. C'était notre rubrique, l'écologie, ça commence à bien faire.