"Fiotte", insulte homophobe ? Libé divisé sur le cas Aurier
Justine Brabant - - Médias traditionnels - (In)visibilités - 0 commentaires"«Fiotte» est-il une insulte à caractère homophobe? Oui, ne tournons pas autour du pot." Après une petite journée de débats par réseaux sociaux interposés, le directeur délégué de la rédaction de Libération, Johan Hufnagel, livre son point de vue sur l'affaire Aurier - du nom de ce défenseur du PSG qui, lors d'un tchat avec des fans, a copieusement insulté son entraîneur et certains de ses collègues. Pour Hufnagel, "fiotte" est bien une insulte homophobe. Un point de vue qui tranche avec un précédent article dans lequel trois journalistes du quotidien estimaient que "l'accusation d'homophobie releva[i]t de la malhonnêteté intellectuelle".
Dimanche 14 février, une vidéo a mis en ébullition le petit monde du football professionnel. Une longue vidéo dans laquelle le défenseur du PSG Serge Aurier échange avec ses fans d'un ton détendu... et injurie une partie de ses coéquipiers. C'est un ami d'Aurier qui sélectionne et transmet les questions adressées au joueur. À la question d'un internaute "Laurent Blanc, il fait souvent la folle ou pas ?", le défenseur répond : "C’est une fiotte !" Un peu plus tard, à une autre question homophobe ("Laurent Blanc [entraîneur du PSG], il suce Zlatan [Ibrahimovic] ou quoi ?"), Aurier répond sur le même registre : "Il lui prend les couilles mon frère, il prend tout cousin".
Suite à la diffusion de la vidéo, Aurier est mis à pied par son club. Le soir même, trois journalistes de Libération, relatant l'affaire, écrivent : "On peut déplorer le manque de délicatesse de l’expression d’Aurier : c’est cependant son langage à lui, l’accusation d’homophobie relevant par ailleurs de la malhonnêteté intellectuelle - c’est hélas parfois ainsi que les gens s’expriment". Pas d'homophobie, donc. Et même une liberté de ton salutaire, d'après Mathieu Grégoire, Alexandre Hervaud et Grégory Schneider : "Sa direction devrait y trouver à redire mais sur le plan journalistique, on préfère ça que le filet d’eau tiède et les mensonges que les footballeurs de ce niveau racontent à longueur d’année."
L'accusation d'homophobie, de la "malhonnêteté intellectuelle" ? Pour les représentants d'associations et de clubs sportifs luttant contre les discriminations interrogés par BuzzFeed, il est pourtant clair que les propos du joueur étaient homophobes. Dans la journée de lundi, plusieurs de ces représentants - ainsi que des journalistes - interpellent Libération sur Twitter :
Tweet posté par Marine Rome (du club de foot Les Dégommeuses)
Tweet posté par l'Association des journalistes lesbiennes, gays, bi-e-s et trans (AJL)
Tweet du journaliste David Perrotin (BuzzFeed)
Si les trois auteurs de l'article restent sur leurs positions, une voix différente se fait entendre chez Libération : celle de Johan Hufnagel, n°2 du journal. Interpellé par la journaliste Marie Kirschen (fondatrice de la revue lesbienne Well Well Well), puis par le compte du club de foot engagé contre les discriminations Les Dégommeuses, le directeur délégué de la rédaction de Libéjuge les propos d'Aurier homophobes, et indique qu'il "va essayer" un édito sur le sujet :
Chose promise, chose due : à seize heures, l'édito d'Hufnagel est en ligne. Tout en demandant à ce que ces propos soient sanctionnés, il rappelle que les propos homophobes ne sont pas l'apanage du football professionnel : "Ces propos, comme ceux qui égrènent l’affaire Benzema-Valbuena (le premier traitant le second de «tarlouze»), sont un délit, et les joueurs qui les prononcent devront être sanctionnés. Ces joueurs symbolisent-ils pour autant un milieu du football coupable d’une homophobie décomplexée et banalisée ? Sans doute, mais il serait dommage d’en faire des boucs émissaires et de circonscrire l’homophobie aux seuls joueurs de foot pro, voire aux seuls sportifs professionnels."
L'occasion de (re)lire la chronique de Daniel Schneidermann sur le sujet : "De quoi l'insulte fiotte est-elle le nom ?"