De quoi l'insulte fiotte est-elle le nom ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 96 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
On va sans doute devoir s'interrompre, prévient Audrey Pulvar. L'avant-soirée s'achève sur iTélé.
Le rubricard politique Michaël Darmon est en train de tenir chronique du bazar dans la maison Sarkozy. Portes claquées, vaisselle cassée, et Juppé qui s'en va fêter la Saint Valentin avec Madame pendant le discours du chef. On est bien. Rien de tel qu'une bonne histoire de vaisselle cassée chez les Sarkozy pour terminer un week-end en beauté. Mais "on va devoir s'interrompre" prévient la présentatrice. Pourquoi donc ? Pour quel considérable événement en direct ? "On annonce une conférence de presse de Serge Aurier dans quelques instants", dit Audrey Pulvar.
Ah ! C'était donc ça. Serge Aurier a été la vedette du buzz du week-end. Pour ceux qui n'auraient pas suivi l'affaire, Serge Aurier est ce foot-balleur du PSG qui a traité son entraineur de "fiotte" dans un tchat sur l'application Periscope. Le "tchat" a fuité dans des conditions obscures. Aurier a été mis à pied par son club. Et ce soir-là, sur la chaîne Bolloré en continu, en application de la hiérarchie de l'information en vigueur, l'actualité Aurier a la priorité sur l'actualité Sarkozy-Copé-Juppé. Sans que ça fasse lever un sourcil à Audrey Pulvar, ex-conscience vibrante de la gauche journalistique, quand elle osait poser à Sarkozy les questions qui fâchent -souvenirs souvenirs.
J'écris "sur la chaîne Bolloré". Mais l'honnêteté m'oblige aussitôt à ajouter que Bolloré n'y est sans doute pas pour grand chose. Le lendemain matin, sur la station de service public France Info, station investie d'une noble mission de service public, Jean-François Achilli reçoit Jean-Christophe Cambadélis. Et, après quelques questions : alors, M. Cambadélis, passons à Serge Aurier. Qu'en pensez-vous ? Que dit "au responsable de parti que vous êtes aujourd'hui" l'épisode Aurier, très sérieusement, qu'est-ce que vous voyez à travers ce, euh, ce phénomène ? Car l'épisode Aurier doit forcément être "significatif" de quelque chose. Il doit bien être recyclable dans une interview politique. Et Achilli, traversé par un éclair de génie : "Vous pourriez faire de même avec, au hasard, le président François Hollande ?"
On se pince. Achilli vient de demander à Cambadélis s'il pourrait traiter Hollande de "fiotte" dans un tchat sur Periscope. Même pas l'excuse du surgissement en direct, cette fois. Achilli a au moins eu quelques heures pour préparer ses questions à Cambadélis. Et il a jugé, à tête reposée, en professionnel chevronné de la radio, que cette question s'imposait dans les quelques minutes de l'interview. Il faut que ce soit Cambadélis, qui lui réponde que la question n'a aucun d'intérêt, bien moins en tout cas que le système d'optimisation fiscale d'Ikea, dévoilé au cours du week-end par un rapport d'eurodéputés écologistes, et qui aurait permis au géant des armoires en kit de soustraire un milliard d'euros d'impôts aux fiscs européens dans les années 2009-2014. Ce rappel fait, Cambadélis obtempère néanmoins -on ne refuse rien à France Info-, et concède les quelques phrases qui feront peut-être les reprises du matin. Bravo Achilli ! Mais il faut faire encore mieux. Demain, sur France Info, le ressenti profond de Serge Aurier sur le remaniement : chiche ?