Entre Trump et Twitter, la guerre est déclarée

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Alors que Twitter s'est toujours abstenu de modérer les contenus parfois mensongers ou virulents de Donald Trump, cette semaine marque un tournant dans ses relations avec le président américain. En seulement trois jours, le réseau à l'oiseau bleu a "fact-checké" un de ses tweets et masqué un autre pour "glorification de la violence". Un affront que Donald Trump, déjà très critique de Twitter, ne digère pas. Retour sur l'histoire d'une guerre entre un président et son réseau social préféré.

Entre Donald Trump et son réseau social favori Twitter, rien ne va plus. Le président américain, qui a l'habitude de tweeter une trentaine de fois par jour depuis le début de l'année, est entré dans une véritable guerre contre Twitter. Et pour cause : en l'espace de trois jours, deux de ses tweets ont été remis en question par le réseau social. 

Le premier, un tweet du 26 mai accusant le système de vote par correspondance d'être truqué, a été estampillé d'une mention "Vérifier les faits" par Twitter, qui se repose sur les informations de CNN et du Washington Post entre autres. 

Le second, un tweet du 28 mai qui appelait les forces de l'ordre à tirer sur les manifestants à Minneapolis, a été carrément masqué avec une mention expliquant qu'il enfreignait les règles de Twitter. Il est accusé de mettre en scène une "glorification de la violence". Le tweet reste toutefois accessible en cliquant sur l'option "Voir", le réseau ayant estimé que "sa disponibilité peut présenter un intérêt pour le public". Impossible également de liker le tweet, d'y répondre ou de le retweeter sans commentaire.

C'est la première fois que Twitter utilise de telles mesures contre les tweets de Donald Trump.  En riposte, le président américain lance une menace à l'encontre des réseaux sociaux : il demande la révocation de la loi protégeant les plateformes d'être rendues responsables du contenu des publications de leurs utilisateurs. Une véritable déclaration de guerre, puisque cela exposerait les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter à des poursuites juridiques aux moindres propos délictueux tenus par leurs utilisateurs. Le 28 mai au soir, Donald Trump signe un décret exécutif invitant les agences fédérales compétentes à réexaminer cette loi, la section 230 de la Communications Decency Act

Une rupture dans la stratégie de modération de Twitter

Mais comment Trump et Twitter en sont-ils arrivés à une situation aussi conflictuelle ? Jusqu'au tweet du 26 mai, Twitter était toujours resté plutôt complaisant avec la pratique du compulsif twittos Trump. Aucune mesure de modération sur les fausses informations diffusées par Trump, pas plus que sur ses sorties racistes à l'encontre d'une parlementaire américaine. Ce qui n'a jamais empêché Trump de critiquer Twitter, en l'accusant notamment de pratiques discriminatoires envers les élus républicains

En octobre dernier, face à l'importance de la propagation de fake-news et de discours haineux provenant de personnalités politiques, et en particulier de Trump, Twitter met à jour ses conditions de modération. Le réseau assure que "Les comptes de responsables politiques d’envergure mondiale ne sont pas au-dessus de [ses] règles" et instaure des mesures particulières pour la modération de ces comptes. Parmi ces mesures, la possibilité de conserver certains messages en les masquant d'un message de prévention s'ils présentent  "un intérêt public clair". En mars, Twitter en rajoute une couche en créant un label "média manipulé", destiné à signaler les contenus politiques trompeurs.

Le président américain, de son côté, poursuit sa charge contre le réseau. Il l'accuse d'être "tellement du côté des démocrates de la gauche radicale", tout comme Facebook, Google et les "médias corrompus". Le 23 avril, après un nouveau tweet assassin dans lequel il accuse Twitter de jouer "un jeu politique", il rencontre son PDG, Jack Dorsey. L'échange paraît satisfaire le président américain, qui s'en félicite quelques heures plus tard.

Le précédent Klausutis

Les choses se compliquent en mai lorsque Trump porte des accusations graves à l'encontre du présentateur télévisé et ancien élu républicain de Floride Joe Scarborough. Il soupçonne publiquement Scarborough d'avoir tué son assistante Lori Klausutis, alors  même que l'autopsie a conclu à une mort naturelle. Le veuf de Lori Klausutis écrit une lettre ouverte au PDG de Twitter et lui demande de supprimer les tweets de Trump, qui constituent selon lui une violation des conditions générales de la plateforme.  Twitter refuse de censurer Trump, mais fait savoir par l'intermédiaire de son porte-parole que ses équipes "travaille[nt] pour étendre les fonctionnalités" du réseau social afin de "traiter plus efficacement ce genre de choses à l'avenir".

C'est dans ce contexte déjà tendu qu'intervient le premier tweet de Trump sur le vote par procuration, et que Twitter décide de la modérer en utilisant pour la première fois la mention "Vérifier les faits". La mention est également ajoutée à d'autres tweets mensongers plus anciens provenant d'autres personnalités. C'est le cas par exemple de ce tweet du 12 mars du porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, qui affirmait que l’épidémie due au coronavirus avait commencé aux Etats-Unis et s’était propagée en Chine à cause de l’armée américaine.

Trump accuse alors la plateforme d'"interférer avec l'élection de 2020" et d'"étouffer la liberté d'expression".  Il promet d'agir, tandis que le média conservateur Fox News accuse Yoel Roth, un employé de Twitter en charge de "l'intégrité" du site, d'être anti-Trump, en exhumant de vieux tweets.

Pour défendre son employé,  Jack Dorsey, le PDG de Twitter, prend la parole. Il dit assumer la responsabilité de cette décision, et assure que l'intention de Twitter est simplement de "relier entre elles les déclarations contradictoires et de montrer les informations sujettes à polémiques pour que les gens puissent juger par eux-mêmes".

une politique différente de facebook

Mais un autre PDG d'un autre grand réseau social s'en mêle. Mark Zuckerberg, fondateur et PDG de Facebook, critique lui aussi la décision de Twitter de soumettre les propos du président américain à une modération. Le 28 mai, sur Fox News, il assure que les entreprises privées ne devraient pas s'imposer comme "arbitre de la vérité". Pour Facebook, assure-t-il, il n'est pas question de vérifier les déclarations de politiciens. "C’est bien que les entreprises aient des politiques différentes à ce sujet. Pour Facebook, c’est très important que les gens puissent s’exprimer librement. Notre politique nous distingue des autres entreprises de la tech à ce sujet", poursuit le milliardaire. Et en effet, si Facebook a lancé des initiatives pour permettre à ses utilisateurs de vérifier les informations publiées sur la plateforme, elle s'est toujours refusée à évaluer les discours politiques

vrai changement pour les réseaux sociaux ?

Si Facebook refuse d'entrer en guerre avec Trump, c'est aussi parce qu'une révision de la section 230 du Communications Decency Act lui serait tout aussi défavorable qu'à Twitter. "En exposant les entreprises à une responsabilité potentielle pour tout ce que disent des milliards de personnes dans le monde, cela pénaliserait les entreprises qui choisissent d'autoriser les discours controversés et encouragerait les plateformes à censurer tout ce qui pourrait offenser qui que ce soit", explique ainsi Liz Bourgeois, porte-parole de Facebook dans le New York Times.

Pour l’heure, le geste de Trump reste cependant purement politique et rien ne dit que la section 230 du Communications Decency Act soit effectivement réformée par les institutions concernées. Une nuance qu’a d’ailleurs pointé la Chambre de Commerce américaine : "Ce n’est pas comme ça que les politiques publiques sont faites aux Etats-Unis. Un ordre exécutif ne peut pas être utilisé pour changer la loi fédérale".

Par son décret, Trump tente donc plutôt de mettre la pression sur Twitter. D'autant plus que la section 230 du Communications Decency Act a régulièrement été remise en question ces dernières années, par des républicains comme par des démocrates. Mais sa stratégie ne semble pour l'heure qu'empirer sa guerre avec Twitter. Preuve en est de l'exceptionnelle rapidité dont a fait preuve le réseau pour masquer son tweet sur les manifestants de Minneapolis. Alors que Twitter est régulièrement critiqué pour sa lenteur à modérer ses contenus, il lui a fallu jeudi moins de deux heures pour agir et communiquer sur les raisons de sa décision. 

Par Coline Daclin

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