De Pifou à Facebook : pas glop
Daniel Schneidermann - - Nouveaux medias - 0 commentairesTout va bien. Facebook, qui était à l'origine de l'invention la plus stupide depuis l'apparition d'Internet
-les like- s'apprête à créer son symétrique : les dislike. Il sera désormais permis aux utilisateurs du réseau de cliquer sur un bouton "je n'aime pas", ou "je déteste" -on ne sait pas encore exactement, les brainstormers brainstorment. Son fondateur, Mark Zuckerberg, vient de l'annoncer en Californie. A première vue, l'initiative semble logique. On pouvait se demander en vertu de quels principes moraux Facebook nous autorisait à aimer, et pas à détester. Facebook avait-il peur de libérer nos mauvais penchants ? Mais c'est déjà le cas, quand il est permis de "liker" la page de soutien à un commerçant ayant descendu un de ses agresseurs, qui s'enfuyait en scooter.
Le bouton "je déteste" sera évidemment aussi stupide, et néfaste, que le bouton "j'aime". Pas seulement parce qu'il créera mécaniquement une industrie du "faux dislike", comme il existe déjà une industrie du "faux like" ; pas seulement parce que les deux boutons ne permettent d'exprimer que des propositions primaires et apparemmment univoques. Mais justement parce que, appliquées à des messages complexes comme les messages d'actualité, elles ne sont univoques qu'en apparence, et en fait totalement équivoques. L'actualité en fournit des exemples tous les jours. Cette video, montrant un glacier suisse recouvert de couvertures pour en ralentir la fonte. Si je la "like", est-ce parce que je trouve l'initiative sympathique, et l'image pittoresque ? Est-ce pour alerter mes amis sur les conséquences du réchauffement climatique ? Et si je la "dislike", est-ce aussi pour manifester mon émotion et ma colère devant le phénomène du glacier menacé ? Est-ce pour désapprouver l'initiative des poseurs de couverture, qui préfèrent des mesures d'urgence pour préserver une attraction touristique, plutôt que de traiter les causes de la fonte ? Notre enquête d'hier, sur la kyrielle d'élucubrations de Caroline Fourest à propos du travailliste britannique Corbyn. Si je la "dislike", est-ce pour dénoncer Fourest, ou pour dénoncer la dénonciation de ses calomnies ? Pouce levé ou pouce baissé, ne permettant pas de distinguer la qualité formelle du message de son contenu, sont des sources inépuisables de malentendus planétaires.
Dans les années 70, Pif le chien fut doté d'un chiot par les dessinateurs des éditions Vaillant : Pifou. Pifou exprimait exclusivement deux émotions : la satisfaction ("glop glop" pouvait signifier plaisir gustatif, reconnaissance, attraction amoureuse, satisfaction à contempler un coucher de soleil sur les toits de Belleville, etc) et l'insatisfaction ("pas glop pas glop" exclamation qui regroupait peur, colère, rancune, faim, froid, dépit, dépossession, sentiment d'abandon, etc). Destiné aux enfants de moins de douze ans, ce mode d'expression était clair et compréhensible. Voir Facebook, qui n'est plus seulement un réseau de partage de photos personnelles, mais un media dominant planétaire, réinventer Pifou à destination d'un milliard de terriens, c'est plutôt pas glop.