COP26 : CNews remet le climatoscepticisme à la mode
Loris Guémart - - 18 commentairesPascal Praud en roue libre
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Quelques jours avant l'ouverture de la Conférence sur le climat de Glasgow, la fusion du climatoscepticisme et du technico-solutionnisme dans un même débat pouvait-elle avoir lieu ailleurs que sur le plateau de Pascal Praud ? Récit d'un débat sans queue ni tête, ni faits.
Il voulait "qu'on n'entende pas toujours les mêmes voix" et a dénoncé "une pensée unique, unique, unique" à propos du dérèglement climatique. Alors, Pascal Praud a invité non pas des climatologues du Giec, mais deux représentants du combat des lobbys contre les restrictions destinées à atténuer le dérèglement. Il "ne peut pas avoir d'avis sur le fond" mais agresse frontalement le seul invité qui ose émettre quelques réserves en évoquant, sacrilège, la problématique des déchets nucléaires. Il s'indigne du fait que les paroles favorables au nucléaire soient absentes du débat national (c'est faux), tout en citant dans la même respiration Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron et tous les présidents de la République qui, c'est bien connu, sont censurés par les médias. Bref, on a regardé L'Heure des pros"spéciale écologie" diffusée ce 28 octobre sur CNews, à quelques jours de la COP26 – un débat repéré par le journaliste Pierre Dezeraud, qui ne s'est pas privé d'écrire tout le mal qu'il en pensait sur Twitter.
Premier invité, un climatosceptique pur jus comme la France n'en fait plus depuis Claude Allègre. L'un des derniers de son espèce tant la réalité du dérèglement et son origine humaine ne font plus débat aujourd'hui parmi les scientifiques. Christian Gerondeau est ainsi l'auteur d'un énième livre affirmant que "le réchauffement climatique, s'il existe, n'a pas d’origine anthropique", résumait Reporterre en juillet dernier suite à son invitation par Ivan Rioufol sur CNews, déjà. Des climatologues avaient alors saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) tant les propos tenus par Gerondeau sur CNews posaient problème, rapportait LCI. Pascal Praud ne semble pas au courant de cette saisine. Il porte à Gerondeau une légère contradiction, lui demandant "Mais vous ne pouvez pas avoir raison contre tout le monde quand même ?"
avant d'exprimer sa propre incompétence sur le sujet : "Le journaliste n'est pas spécialiste de grand-chose".
Outre ses ouvrages niant le travail du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), Gerondeau participe à des groupes de réflexion soutenus par de grands industriels – après avoir été président pendant une décennie de l'Automobile club de France. Ce qui donne, dans les mots de Praud : "Vous êtes ingénieur polytechnicien et vous avez travaillé sur les questions environnementales depuis plus de dix ans, vous avez travaillé parfois dans les ministères […] Vous n'êtes pas un illuminé".
Après le livre "assez technique, assez factuel" de Gerondeau, Pascal Praud lance un second débat autour de l'ouvrage "plus philosophique, plus intellectuel" de Ferghane Azihari, "pas un scientifique" mais "analyste en politique, délégué général de l'Académie libre des sciences humaines et membre de la Société d'économie politique", rien que ça. "D'où on parle, c'est important de le dire", sourit Praud, citant Marx sans aller au bout de la démarche : l'Académie en question est en fait une organisation de lobbying néolibérale et financée par de généreux donateurs tous anonymes. La Société d'économie politique, elle, est... une organisation de lobbying néolibérale, qui s'opposait farouchement à la progressivité de l'impôt sur le revenu dans la première moitié du 20e siècle. Praud essaie de faire passer Ferghane Azihari pour un réprouvé des médias, comme son premier invité. En fait, son techno-solutionnisme, qui s'appuie sur encore plus de libéralisme mais sans nier l'origine humaine du dérèglement climatique, séduit la télé mais aussi les Échos, leFigaro,Atlantico, le Point, Europe 1, laTribune ou Marianne (au rayon "ils ne pensent pas (forcément) comme nous").
Quand Ferghane Azihari défend l'idée que l'écologie politique, depuis la Seconde guerre mondiale, s'oppose (avec des conséquences délétères, évidemment) à la maîtrise humaine absolue apportée par le progrès technologique, Pascal Praud explique qu'on retrouve cette quête de maîtrise absolue dans la gestion gouvernementale du Covid, "si vous me permettez, c'est à dire que c'est les mêmes mécanismes, de vouloir dominer une épidémie".Critiquant la gestion jugée autoritaire du Covid, Praud critique-il alors celle que l'homme exerce sur la nature ? Il est donc… écolo ? Le regard de son invité flotte, il est un peu perdu. Heureusement, peu après, Praud retombe sur ses pieds : "On l'a vu avec le Covid là encore, c'est-à-dire que le Covid nous fait réfléchir de ce point de vue, c'est-à-dire qu'au nom de la planète, on nous dise «tu restes chez toi»." Ce n'est pas très évident, mais c'est un peu plus cohérent.
Ces échanges sont surtout l'occasion pour Pascal Praud de donner son avis, en occupant plus de temps d'antenne que ses deux chroniqueurs en plateau. Pendant pas moins de treize minutes, le journaliste (qui, répète-t-il, ne sait rien) révèle ses propres peurs : celles d'un homme blanc, bourgeois et bientôt sexagénaire, au salaire payé par un milliardaire, et dont l'écologie est le cadet de ses soucis. "La jeune génération, et parfois on est tous au contact des jeunes de maintenant, moi, ça me fait peur quand ils vont avoir 40 ans, parce que quand ils vont avoir 40 ans, ils auront le pouvoir ! Ils sont quand même nourris à un discours apocalyptique depuis des années par les médias, qui fait qu'on est tous confrontés, on a tous parfois des ados ou des grands ados, et tout à coup, dans une famille, on a un enfant qui dit «Je ne veux plus prendre l'avion»." On aurait envie de dire à ces "ados ou grands ados" proches de Pascal Praud de ne surtout rien lâcher.