Conseil constitutionnel : sous influence des lobbies (Mediapart)
Anne-Sophie Jacques - - 0 commentairesLe Conseil constitutionnel sous influence des lobbies ? Dans une enquête publiée aujourd’hui, Mediapart assure que "de plus en plus de lobbies s'adressent directement aux membres du Conseil constitutionnel pour les convaincre de censurer une loi". Cette pratique – certes pas nouvelle mais qui tend à s’élargir – est dénoncée par certains membres ainsi que des associations qui appellent à la transparence.
Connaissez-vous les "portes étroites" ? Ces notes écrites et adressées aux membres du Conseil constitutionnel chargés d’établir si une loi est conforme ou non à la Constitution sont rédigées par des juristes extérieurs, afin de guider les membres dans leur choix. Les guider… ou les convaincre ? se demande aujourd'hui Mediapart qui consacre une enquête sur ce sujet. Le degré d’influence de ces "portes étroites" est difficile à évaluer étant donné que ces notes ne sont pas publiées. Même le secrétariat général du gouvernement, qui doit répondre aux saisines des élus d'opposition sur telle ou telle loi, n’y a pas accès. Pire : ces "portes étroites" sont, selon Mediapart, en pleine expansion "au point qu'un marché de niche très lucratif s'est développé au profit d'une poignée de professeurs de droit constitutionnel et surtout de cabinets d'avocats (souvent anglo-saxons), qui facturent jusqu'à 100 000 euros la rédaction d'un mémoire et transforment [le Conseil constitutionnel] en champ de bataille d'influences".
Si Mediapart a eu de la peine à recueillir des témoignages à visages découverts, le site a cependant déniché quelques "portes étroites" significatives. Ainsi, en 2012, Guy Carcassonne, professeur en droit public décédé l’année suivante, "a produit une «porte étroite» visant à démontrer que la «taxe à 75 %» de François Hollande, promesse phare du candidat socialiste, votée pour 2013 sur les revenus supérieurs à un million d'euros, était contraire à la Constitution. Son client ? La Ligue de football professionnel, inquiète de voir ses meilleurs joueurs s'expatrier. Ses émoluments ? 20 000 euros. À l'arrivée, sans qu'il soit possible d'affirmer un lien de cause à effet, le Conseil a censuré la disposition tout juste adoptée par le parlement français".
Carcassonne s’était d’ailleurs réjoui sur son blog, comme nous le racontions ici, que le Conseil constitutionnel détermine le taux d’un impôt confiscatoire (soit aux alentours de 75%). Une façon pour le Conseil de "substituer sa propre vision de l'intérêt général à celle retenue par le Parlement" estimait alors Martin Collet, professeur de droit public interrogé par @si et seul à s’être indigné de cette décision. Un an plus tard, @si s’étonnait également du coup de pouce donné par le Conseil constitutionnel à l’évasion fiscale. Sous influence d’une porte étroite efficace commandée par des multinationales ?
Vous vous en doutez : le Conseil constitutionnel se défend de toute influence. Pour autant, selon Mediapart, "en coulisse, quelques membres (minoritaires) estiment cependant qu'il faut réagir, de même que d'anciens juges et certains professeurs de droit public. Non pour interdire les «portes étroites», jugées enrichissantes, mais pour injecter de la transparence". Parmi les pourfendeurs, Pierre Joxe – ancien membre de 2001 à 2010 et ancien ministre socialiste reçu sur notre plateau au printemps – dénonce un lobbying auprès des membres qui "a été très loin" mais aussi "les professeurs d'université qui se prostituent ainsi".
Le gouvernement, qui "prépare un projet de loi anticorruption pour cet automne, supposé encadrer les activités des lobbyistes «auprès des autorités gouvernementales»", va-t-il inclure le Conseil constitutionnel ? Réponse d’ici les prochaines semaines.