Comment les télés ont parlé du plan de Trump pour Gaza
Pauline Bock - - Coups de com' - 25 commentairesAlain Gresh : "Il y a cette idée qu'on va tourner la page, et à nouveau pouvoir légitimer Israël"
Depuis l'annonce du plan Trump pour Gaza, les médias qualifient le président étatsunien de "héros" et de "faiseur de paix". Quitte à oublier le contexte, et toute rationalité.
Donald Trump est un "héros"
. En tout cas, pour un certain nombre de médias qui ont couvert, le lundi 13 octobre, la mise en place du plan de cessez-le-feu à Gaza négocié par le président étatsunien. Celui-ci prévoit notamment la libération mutuelle de détenu·es israélien·nes et palestinien·nes, une demande répétée des deux camps depuis le 7-Octobre.
Donald Trump, le "faiseur de paix", "accueilli en héros"
Toute la matinée du 13 octobre, alors que Trump était attendu en Israël et que les premiers détenus israéliens du 7-Octobre étaient libérés par le Hamas, les chaînes d'information françaises ont rivalisé de superlatifs pour le président des États-Unis.
Sur Franceinfo, on nous répète que Trump va "célébrer son triomphe, puisqu'aujourd'hui, c'est sa victoire !"
Alix Bouilhaguet considère que "la libération des otages"
est "la victoire de Donald Trump et de son plan de paix"
, tandis que Paul Larrouturou répète qu'il s'agit "d'une grande victoire pour Trump, tout de même"
. Sur LCI, on nous décrit un Trump qui "arrive en héros"
face aux "messages des Israéliens : «Merci monsieur le président»"
, et qui "jubile"
devant "son moment"
puisque ses "efforts parfois inhabituels"
ont "fini par payer"
: "Regardez, Benyamin Nétanyahou est, pardonnez-moi l'expression, au garde-à-vous !"
Sur BFM, l'éditorialiste François Clémenceau explique que le président étatsunien a "ramené la paix dans une région qui n'en a pas connu depuis plusieurs siècles"
. Pour les journalistes de BFM, "parler de messie, c'est un peu fort, mais Trump est accueilli en héros", "celui qui a permis le retour des otages"
; pour ceux de LCI, il est "l'un des principaux artisans de cette paix".
Le "triomphe"
de Trump est tel qu'on se demande sur plusieurs chaînes si, ça y est, il ne mériterait pas le prix Nobel de la Paix - qu'il réclame depuis des années et jalouse férocement à son prédécesseur, Barack Obama. Paul Larrouturou, sur Franceinfo, questionne ainsi son invité : "Est-ce que vous pensez que ce qu'est en train d'obtenir Donald Trump peut lui valoir le Nobel de la Paix ?"
Idem sur LCI : "Lui qui réclame, vous le savez, à corps et à cris, depuis plusieurs mois, le prix Nobel de la Paix, ce serait pour lui un triomphe absolu. Même si ce prix Nobel, il ne l'a pas eu cette année."
Trump est également présenté comme un "faiseur de paix"
sur CNews, où la contradiction n'est pas tolérée en plateau. Elle arrive en la personne de Mathias Leboeuf, un journaliste et docteur en philosophie, qui déclare, dans l'émission Morandini Live
du 13 octobre, que "Donald Trump met fin à une guerre qu'il a alimentée pendant deux ans"
. Erreur fatale : l'invité se fait vertement remettre à sa place par Morandini, qui est outré et ne le laisse pas développer : "Tout ce que vous trouvez à dire ce matin sur Donald Trump, qui fait la paix et qui parvient à faire libérer les otages, c'est qu'en fait, il est coupable et il a alimenté la guerre ? C'est tout ce que vous trouvez à dire, en fait ? Au lieu de dire «merci Donald Trump, bravo Donald Trump», vous dites : «C'
est celui qui a alimenté la guerre pendant deux ans
»
alors qu'il est au pouvoir depuis six mois, pff !"
Leboeuf a beau expliquer que depuis six mois que Trump est au pouvoir, "il a largement intensifié et validé l'effort de guerre d'Israël"
; sur CNews, on lui répond que "non, il [Trump] a imposé un bras de fer"
: il n'est pas question, ce 13 octobre, de présenter Trump autrement que comme un héros.
Sur France Culture, radio du service public, le discours est sensiblement le même. Les journaux du 13 octobre parlent d'un Trump qui est "acclamé à la Knesset"
, l'Assemblée israélienne, et "savoure son triomphe"
: "Le président américain qui est désormais le héros de tout un peuple, l'homme qui a permis la fin d'un «long cauchemar», deux ans après les massacres du 7 octobre et l'enlèvement de quelque 250 personnes. Et c'est un Donald Trump triomphant qui a pris la parole devant la Knesset, le parlement israélien, où il a été ovationné."
Dans le Figaro
, il est "accueilli en faiseur en paix"
.
Auprès d'Arrêt sur images
, Alain Gresh, le fondateur du média Orient XXI
, voit dans le sommet de Charm el-Cheikh, qui a mené au "plan Trump", une "
démonstration de servilité à l'égard de Trump de toutes les puissances présentes, qui est assez étonnante"
. "Si, il y a quarante ans, un dirigeant de l'armée soviétique avait fait une cérémonie avec des gens vraiment présentés comme à la botte du dirigeant soviétique, qu'est-ce qu'on aurait pas dit !"
s'exclame-t-il. "Les médias sont entrés dans la mise en scène des États-Unis. Dans les médias, ce qu'on a montré, c'est : «Trump arrive et il fait la paix»."
"De la propagande atlantiste"
La journaliste Meriem Laribi, autrice de Ci-gît l'humanité : Gaza, le génocide et les médias
(éd. Critiques), estime que l'utilisation des mots "héros"
ou "faiseur de paix"
crée l'impression que le 13 octobre 2025 est un "jour zéro, le début de l'histoire"
. "Alors qu'en fait, c'est l'achèvement de deux ans de génocide, durant lesquels les Etats-Unis ont armé massivement Israël, sans arrêt"
, assure-t-elle à Arrêt sur images
. "Que ce soit Biden ou Trump, ils soutiennent sans réserve Israël. C'est bizarre de ne pas rappeler ça !"
Elle compare ce traitement médiatique à celui des événements du 7-Octobre, qui n'avaient pas non plus été correctement recontextualisés : "C'est comme pour le 7-Octobre : « Tout a commencé le 7-Octobre ». Là, c'est : « Tout a commencé le 13 octobre 2025, il ne s'est rien passé pendant deux ans, et Trump arrive en Superman ». C'est prendre les téléspectateurs pour des idiots."
Elle a surtout écouté franceinfo, et regrette particulièrement que la radio, "celle du service public"
, n'ait pas "rappelé le rôle des États-Unis dans ce génocide pendant deux ans"
, notamment le veto systématique des États-Unis contre les résolutions de l'ONU pour un cessez-le-feu à Gaza. "Sans les armes des États-Unis, ça s'arrêtait en 24 heures !",
martèle Meriem Laribi. "Comment ne pas rappeler ça, quand on est journaliste, à un·e invité·e qui parle de Trump comme d'un «héros» ?"
Elle trouve "extrêmement choquant"
le manque de contextualisation de la couverture médiatique de Franceinfo - une critique qui pourrait également s'adresser à LCI et BFM, qui ne font guère mieux, mais qu'elle n'a pas regardées ce jour-là - et voit dans ces choix éditoriaux "de la propagande atlantiste"
, voire "une mentalité coloniale"
. Cette "mentalité coloniale"
, elle l'a observée dans les propos d'un invité des la Matinale de Franceinfo ce 13 octobre, qui déclarait que c'est "encore une fois"
aux Occidentaux - sous-entendu, Trump - que l'on doit "cet accord de paix"
, car ce serait eux qui sont à la "source de la paix à une époque où on parle beaucoup de désoccidentalisation du monde"
. Sans qu'il ne soit rappelé, dit Meriem Laribi, "que ce sont les Occidentaux qui arment le génocide depuis le début"
. "C'est fou, en tant que journalistes, de ne pas rappeler ça, de ne pas le contredire !"
Elle regrette un "choix d'invités qui n'est pas anodin"
, "surtout sur le service public".
Pour Alain Gresh, le sous-entendu selon lequel "l'Occident a fait la paix" renvoie à ce qu'il désigne comme "l'exception médiatique sur Israël-Palestine"
: "Les médias considèrent Israël comme un allié, comme un pays occidental. Même si dans les derniers mois avant le cessez-le-feu, il y avait eu un infléchissement dans les médias, parce qu'Israël était allé très loin. On a l'impression que tout va s'arrêter, mais en vérité, le génocide continue, les images de Gaza sont inimaginables, l'occupation [des territoires palestiniens par l'armée israélienne] continue sous une autre forme."
Et pourtant, avec la couverture médiatique de ce "plan Trump", dit-il, "il y a cette idée qu'on va tourner la page, et à nouveau pouvoir légitimer Israël."
Lui aussi parle de "biais colonial"
. "Comme dans toutes les guerres coloniales, on retrouve l'idée que les puissances occidentales ne peuvent pas commettre des crimes, puisque ce sont les mêmes pays qui ont célébré la Cour pénale internationale"
, note-t-il.
Des "prisonniers" palestiniens, des "otages" israéliens
Dans sa Matinale
du 13 octobre, LCI consacre pas moins d'une heure trente à la libération des sept premiers "otages israéliens"
par le Hamas et leur retour en Israël, avec une édition spéciale, un bandeau rouge "Les 7 premiers otages arrivent en Israël"
, et moult duplex et reportages sur place. Lesdits sept otages sont nommés, leurs photos montrées à l'écran de LCI, leurs familles interviewées. "Les otages israéliens, on connaît toute leur vie, le contexte, leurs noms, leurs visages, leurs familles qui attendent, leur histoire, ce qu'ils vont faire après, où ils sont blessés, tout ! Et les Palestiniens, rien du tout, c'est une foule indifférenciée"
, s'agace Meriem Laribi.
Alain Gresh abonde : "Les Palestiniens, quand ils sont libérés, ils sont invisibles, ils sont une masse. Ils ne sont pas traités comme des êtres humains. Alors que certains apparaissent dans une situation extrêmement grave, ils sont torturés dans les prisons israéliennes, et ça n'a pas du tout été souligné."
Il renvoie au témoignage récent, publié dans Orient XXI
, du journaliste gazaoui Rami Abou Jamous, à propos des captifs libérés par l'armée israélienne, dont les médias rappellent rarement qu'ils "n'étaient pas impliqués dans l'opération du 7 octobre, ni dans des actions militaires"
: "
L'armée israélienne avoue ainsi, implicitement, les avoir kidnappés pour servir de monnaie d'échange."
Rami Abou Jamous souligne que "b
ien sûr, on parle de ceux qui ont été libérés, mais il y en a des milliers d'autres qui ont été enlevés, on n'arrive même pas à savoir leur nombre exact. (...) Leurs familles ne savent pas s'ils croupissent dans les prisons israéliennes, ou s'ils sont ensevelis sous les décombres de leur maison ou enterrés dans des fosses communes."
Mais ces portraits de ces captifs-là, soupire Alain Gresh, on ne les verra pas sur les chaînes d'info. "Les Palestiniens, et les Arabes plus généralement, ne sont pas vus comme des êtres humains. Ils ne sont jamais traités «comme nous», ce sont toujours «des terroristes»."
Un reportage du Figaro
illustre de façon frappante ce traitement différencié. "En échange des otages, Israël s'était engagé à libérer près de 2 000 Palestiniens, dont certains condamnés à de lourdes peines pour terrorisme"
, rappelle le quotidien. Le journal met d'ailleurs en opposition les "otages"
et les "prisonniers"
dans la même phrase, pour parler pourtant d'une même émotion : celle de deux peuples qui retrouvent et accueillent leurs disparu·es. "Alors que les Israéliens célébraient
la libération de leurs otages
, les Palestiniens ont accueilli comme des héros les prisonniers libérés dans le cadre de l'échange négocié sous l'égide du président Trump."
Les uns "célèbrent la libération"
de leurs "otages"
tandis que les autres "accueillent comme des héros"
des "prisonniers"
. Ce n'est qu'après cette distinction que le Figaro
précise : "Parmi ces prisonniers se trouvaient une majorité d'hommes arrêtés au cours de la guerre par l'armée israélienne et détenus depuis sans jugement. Mais, également, 154 Palestiniens condamnés à des peines de prison par des tribunaux israéliens."
Ce qui fait tout de même 1646 autres, mais ce n'est pas le chiffre mis en avant. Le même jour, le Figaro
s'inquiète aussi du "syndrôme de renutrition inappropriée"
pour les Israéliens - et uniquement les Israéliens - qui sortent de détention.
Meriem Laribi relevait déjà cette "déshumanisation"
des Palestinien·nes dans son livre sur le traitement médiatique de la guerre à Gaza. "C'est comme si ce n'était pas des gens, qu'ils n'avaient pas d'histoire"
, soupire-t-elle. Eux sont désignés comme "prisonniers"
, dit Meriem Laribi, un terme qui poursuit la déshumanisation.Ce 13 octobre sur Franceinfo, Agathe Lambret va même plus loin, en liant implicement "prisonniers palestiniens"
et "terroristes"
, lorsqu'elle déclare : "On sait qu'Israël est inquiet de remettre en liberté de potentiels futurs terroristes."
"C'est profondément ancré, cette mentalité coloniale"
, souligne Laribi. "Il y a un choix des mots qui donne l'idée qu'ils sont coupables, alors qu'on pourrait dire «prisonniers» pour tout le monde, les Israéliens comme les Palestiniens."
Un "accord de paix", ou un "plan de domination de Gaza" ?
Du Monde
au Figaro
en passant par lePoint
, le Nouvel Obs
ou encore le Huffington Post
, la presse française semble unanime : Trump est un "héros"
, et son"accord de paix
à
Gaza"
, une "victoire"
, un moment "historique".
Libération
utilise l'expression aussi, mais parle plus prudemment d'un "accord à Gaza"
, tout comme Ouest-France
. D'autres, comme Courrier international
, préfèrent qualifier l'accord de "plan Trump"
. "Ça n'est pas un plan de paix, c'est un plan de cessez-le-feu"
, nuance Meriem Laribi. La journaliste insiste sur la dimension coloniale de ce "plan"
: "Ils veulent mettre Tony Blair à la tête de Gaza ! Il n'y a aucun respect de l'intégrité et de la souveraineté des Palestiniennes en tant que peuple, ils n'existent pas dans le narratif. C'est un plan israélo-américain de domination de Gaza. C'est ça dont il fallait discuter, pas d'un «accord de paix»."
Il y a eu des voix discordantes dans les médias, pour rappeler que ce plan n'a, en tout cas pour l'instant, rien d'un "plan de paix"
, note-t-elle, mais elles ont peu été entendues. "J'aimerais croire à la paix, mais cette guerre est fondée sur une injustice, le tort fait à la population palestinienne, qui doit être prise en charge et réparée, mais rien de cela ne figure dans le plan"
, a ainsi déclaré le médecin humanitaire Rony Brauman sur La Chaîne Parlementaire. "Il est exagéré de parler de paix aujourd'hui"
, a estimé le journaliste et co-rédacteur en chef de L'Orient-Le Jour
Anthony Samrani auprès de France24. Le quotidien libanais est en effet autrement plus prudent que la majorité de la presse française.
S'il reconnaît que cet accord ne serait pas arrivé sans Trump, dans un éditorial, Samrani souligne que c'est sur la durée que se mesurera l'impact réel du "plan Trump"
. "Il faudra un Donald Trump extrêmement vigilant, et il n'est pas connu pour sa patience et son goût du détail, pour que son plan de paix ne ressemble pas à une trêve, plus ou moins longue, avant la poursuite, peut-être dans une autre forme, de la guerre"
, écrit-il. "Il n'y aura pas de paix tant qu'il n'y aura pas de justice. Nous sommes très loin de cela aujourd'hui."
C'est parfois aussi vers la presse locale qu'il faut regarder pour trouver des sons de cloche dissonnants : un éditorial de l'Est Républicain
se demande ainsi si le "héros"
Trump en est vraiment un. "Un grand flou persiste toutefois sur les intentions profondes de Trump, cet ancien magnat de l'immobilier qui rêvait, il y a quelques mois encore, de transformer la bande de Gaza en « Côte d'Azur du Moyen-Orient »"
, écrit le journaliste Benoît Gaudibert, qui rappelle que "le plan américain comporte beaucoup d'incertitudes sur la perspective de création d'un État palestinien, l'organisation d'éventuelles élections, le désarmement du Hamas ou le retrait de l'armée israélienne de Gaza"
.
Plutôt que de parler d'"accord de paix"
, Alain Gresh propose le terme "arrêt des combats"
. "C'est un peu plus fort qu'un cessez-le-feu"
, dit-il, "parce que l'armée israélienne a promis de se retirer de certains territoires."
Il propose également que les médias occidentaux prennent l'habitude de rappeler, lorsqu'ils parlent de Benyamin Netanyahu, que celui-ci est inculpé pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale : "Ne jamais le rappeler, c'est un problème."
Un parmi un bien grand nombre.