Citoyens, geeks et chercheurs s'emparent de la pétition ADP

Tony Le Pennec - - Numérique & datas - 34 commentaires

Un compteur de signatures en ligne mis en place par un informaticien, des militants qui aident à remplir le formulaire... Sur le web, des citoyens motivés se sont mis en tête de pallier les (importants) manquements du gouvernement.

L'Etat ne mettant pas toute la meilleure volonté dans la mise en place de la pétition sur le référendum sur les aéroports de Paris (site mal référencé, pétition difficile à remplir, etc.), certains ont décidé de prendre les choses en main, sans attendre. Deux initiatives ont notamment vu le jour : l'informaticien Benjamin Sonntag est parvenu à créer un compteur de signatures ; et une association, Referendum-ADP, s'est constituée pour informer les citoyens de l'importance du référendum... en l'absence de campagne de communication gouvernementale.

Les données de la pétition siphonnées en une nuit

"J'ai commencé à 23h30, et j'ai terminé à 4 heures du matin. Mais c'était beaucoup d'attente ; en tout je n'ai passé qu'une ou deux heures à coder." Benjamin Sonntag, membre de l'association militante de l'Internet libre la Quadrature du net, a passé la nuit de lundi 17 juin à mardi 18 devant son ordinateur, à aspirer les données contenues dans les listes de signataires. Enfin, pas toutes les données : "Je n'ai fait que compter le nombre de pages et de noms par page", explique l'informaticien à Arrêt sur images. En effet, le site de la pétition permet de voir les noms des votants, mais pas leur nombre. Sonntag a décidé d'agir. "C'est le cas classique de quelqu'un qui a des compétences, trouve que quelque chose est fait n'importe comment, et corrige par lui-même. " L'informaticien cherche l'accès aux listes de signataires. "J'ai vu que les listes étaient protégées par captcha [système pour vérifier que c'est bien une personne physique qui effectue la manœuvre, et non un logiciel], alors j'ai appelé un ami qui est bon dans le craquage de ce type de système."  Pour accéder aux listes de signataires, c'est en fait deux captchas qu'il faut passer. "Le premier est un Incapsula, un système développé par Google, détaille Benjamin Sonntag. Ce n'est pas très difficile à passer. Ensuite, il y a un captcha qui demande de taper des lettres et des chiffres déformés. Avec un logiciel qui traite les images, les nettoie, on arrive à trouver le bon code neuf fois sur dix." 

"Si quelqu'un récupère les noms, il crée un fichier d'opposants à Macron"

Une fois ces protections franchies, ne reste plus à Sonntag qu'à mettre en place un code comptant le nombre de noms par page, et le nombre de pages total. Et seulement cela, insiste l'informaticien : "Mon code est conçu de sorte à ne jamais garder les noms des signataires." Aspirer les noms des signataires n'aurait pourtant pas été plus difficile à faire, ce qui pose question à Benjamin Sonntag. "Si quelqu'un récupère les noms, il crée facilement un gigantesque fichier d'opposants à Macron ! Si le ministère croit qu'il va protéger les données personnelles avec de simples captcha, c'est vraiment ridicule." Selon lui, le site diffuse ce qu'il ne devrait pas, et inversement. "La liste des signataires ne devrait pas être publique, et il devrait y avoir un compteur sur le site." 

Le compteur de Benjamin Sonntag ne défile toutefois pas en direct. A chaque fois qu'il veut le mettre à jour, il lui faut refaire la manipulation. "Ce qui me prend environ 15 secondes, plus 5 heures à attendre." Quand un utilisateur s'inscrit sur le site, sa signature n'est validée que 5 jours plus tard. "Donc le chiffre de 126 000 votants, obtenu dans la nuit, correspond uniquement aux personnes ayant voté le premier jour."

Le créateur du compteur compte mettre celui-ci à jour environ chaque semaine. Et si le Conseil constitutionnel, comme le ministère de l'Intérieur l'a annoncé à Libération, se met à publier les chiffres mensuellement, Sonntag arrêtera son propre compteur. "Ce qui n'empêchera pas de s'en servir ponctuellement pour vérifier les chiffres annoncés."

une bande d'intellos fonde le site "Referendum-ADP"

Pour booster ces chiffres, et surtout les amener au niveau fatidique de 4,7 millions, certains s'organisent. C'est le cas de l'association Referendum-ADP. Regroupant une brochette de personnalités investies dans les mondes associatif, syndical, intellectuel, elle s'est donnée pour but d'informer la population sur les enjeux du référendum, et d'expliquer aux gens comment voter. Le 11 juin, à l'issue d'une soirée de lancement avec, notamment, les députés insoumis et socialiste François Ruffin et Boris Vallaud, l'association a mis en ligne son site internet. Celui-ci est organisé en 15 questions relatives à la privatisation d'ADP et au référendum, comme "On parle beaucoup d'ADP ces temps-ci, pourquoi ?", "En quoi la privatisation d'ADP est-elle problématique ?" ou "Si nous atteignons 4,7 millions de signatures, la privatisation d’ADP sera-t-elle annulée ?"

Le noyau dur de l'association à l'origine du site est composé d'Elliot Lepers, président de Mouvement, une ONG se donnant pour but de "défendre le bien commun, faire pression sur les décideurs, et gagner des batailles dans la loi et l'opinion", de Coralie Delaume, essayiste souverainiste spécialiste des questions européennes, de l'économiste atterré David Cayla, du professeur de droit à la Sorbonne Paul Cassia, de l'historien Patrick Weil, de l'avocat Jean-Baptiste Soufron et du délégué CGT ADP Daniel Bertone. La petite équipe s'est mise en place dès l'annonce de la pétition pour le référendum, il y a deux mois. "Ça s'est fait par capillarité, explique Elliot Lepers à Arrêt sur images. Je connaissais Jean-Baptiste Soufron depuis un moment. Lui-même connaissait Patrick Weil, et la CGT ADP, qui avait été soutenue par Coralie Delaume."

"50 000 personnes vont chercher chacune 100 signatures"

L'action de Referendum ADP va se mettre en place sur plusieurs fronts : "Il va y avoir une action juridique et politique pour forcer le gouvernement à faire un site qui fonctionne vraiment, avec un compteur, indique Lepers. Pour cela, nous avons des juristes avec nous." Ensuite, l'action sera pédagogique et militante. "Nous allons animer une campagne, aider à mettre en place des sessions d'information, organiser des événements pour recueillir des signatures, former les gens à aller en chercher partout où ils peuvent. L'idée, c'est de trouver 50 000 personnes qui vont chercher 100 signatures chacune." Une tâche colossale, Lepers en est bien conscient. "Notre force,  c'est qu'il y a un objectif très concret,  on n'a pas l'impression de pisser dans un violon, ce qui peut être le cas avec les mouvements sociaux, qui sont ignorés par les gouvernements successifs depuis Sarkozy." 

Le site Internet de l'association devrait aussi s'enrichir. "Nous allons ajouter des argumentaires, des tracts, que les gens puissent avoir des outils pour inciter, autour d'eux, à signer la pétition." L'association réfléchit à intégrer le compteur de Benjamin Sonntag, lui-même partant pour que son outil soit ajouté "partout où on [le lui] demande". Pour les problèmes d'ordre technique, Elliot Lepers se félicite que le groupe Facebook de Referendum ADP (pour l'instant relativement confidentiel) serve de plateforme d'entraide entre les utilisateurs. 

Abattre le travail que devrait effectuer le gouvernement ne dérange pas le militant. "Honnêtement, on anticipait le fait que le gouvernement ne serait pas de bonne volonté, qu'il ne serait pas neutre. Même si la pétition n'est pas faite pour prendre position, mais simplement pour avoir la possibilité de choisir..." La bataille durera jusqu'au terme de la consultation, en mars 2020.

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