Brigitte Macron "passe les messages à son mari"... et aux Français
Maurice Midena - - Médias traditionnels - 66 commentairesDepuis la rentrée, la première dame fait le tour des plateaux pour faire la promotion de l'opération "Pièces jaunes". Mais aussi, l'air de rien, celle des réformes portées par le gouvernement, retraite comprise. Avec un succès pour le moins relatif.
"Si elle veut jouer un rôle politique, ce n'est pas au sens partisan du terme. Mais Brigitte Macron joue un rôle public et de plus en plus. Et compte tenu de son nom et de son statut, sa parole ne peut pas être neutre. Elle a donc inévitablement une portée politique." Guillaume Tabard, qui tient l'édito politique dans la matinale de Radio Classique, semblait absolument ravi de la lumière prise par la première dame dans les médias depuis la rentrée. Au point, donc, de nous servir ce passe-passe sémantique dont seul un éditorialiste peut avoir le secret : Brigitte Macron fait de la politique, mais sans être partisane. Allons donc.
Ne surtout pas prendre parti, c'est le mot d'ordre de la première dame. Elle l'a rappelé en long, en large, et en travers dans un entretien fleuve au Parisien (avec une sélection de lecteurs du journal), et aussi au 20 h de TF1 dont elle a été l'invitée le 9 janvier. Si elle admet être "comme tous les Français", et "avoir un avis sur tout", elle ne le donnerait qu'à son mari. Et pas question de se départir de cette apparence de neutralité axiologique : "Sur l'hôpital en France, je ne me permettrais pas de faire des commentaires. Ce n'est pas de mon ressort", lâche-t-elle aux lecteurs du Parisien. Si elle échange lorsqu'elle est en déplacement, tout ce qu'elle recueille, elle le transmet à son époux. Mais pas plus : "Je suis un passeur, je lui (à Emmanuel Macron) passe les messages", mais "jamais je ne me permettrais : fais attention, fais ceci, fais cela, mais je lui transmets".
Le SAV des réformes
Si la première dame fait ainsi – de façon non partisane, rappelons-le – la tournée des popottes (aussi chez RTL le 25 janvier, réaffirmant qu'elle "répétait tout à son mari"), c'est afin de promouvoir l'opération "Pièces jaunes". Ce qui ne l'empêche pas de distiller quelques commentaires personnels, et ce y compris sur la politique gouvernementale, dont le très tendu dossier de la réforme des retraites. Interrogée par Gilles Bouleau sur le sujet, elle a ainsi expliqué que cette réforme allait être nécessaire pour la jeunesse. "Ce que me disent les plus jeunes […] : «De toute façon nous on n'aura pas de retraite». Donc moi, ce que j'ai envie de dire aux jeunes, c'est «Tout est fait pour que vous ayez une retraite»." Aux lecteurs du Parisien, elle joue encore ce refrain de prise de position non politique : "J'entends que ce n'est pas de gaieté de cœur que la réforme est lancée mais que, sans cela, le système ne tient pas à long terme. Après, je ne suis pas économiste…" En effet, contrairement par exemple à Michaël Zemmour, qui expliquait à ASIque le système des retraites n'était pas menacé.
Outre les "Pièces jaunes", Brigitte Macron en profite pour évoquer le harcèlement scolaire, un de ses chevaux de bataille. Interrogée par une lectrice du Parisien sur la prolifération des numéros verts, la première dame ne se trouve "pas politiquement correcte" sur cette question : "Je voudrais une simplification, parce que plus il y a de numéros moins on les retient. […] Je n'ai aucun pouvoir, mais dès que ça peut aider les enfants, les ados, je pense que je n'ai pas le droit de me taire. C'est ce qui m'a tenu le plus à cœur dans les cinq ans passés et ce qui me tient le plus à cœur. J'ai l'impression que s'il y a une raison pour laquelle je suis là, c'est pour faire avancer cette cause. Lutter contre le harcèlement scolaire, c'est mon combat." Un cri du cœur vite entendu par le pouvoir ? Une tribune publiée quelques jours plus tard dans le JDD appelait à "éradiquer ce fléau de nos écoles". Une tribune signée par une quarantaine de députés, tous de Renaissance, le parti présidentiel.
Brigitte Macron a quelques autres idées. Interrogée sur l'état du système de santé par une lectrice du Parisien, la première dame répond : "Ils me disent tous qu'ils aiment leur métier, mais la peur qu'ils ont c'est de ne pas arriver à faire tout ce qu'ils ont à faire tellement leur charge de travail est immense, notamment sur l'administratif." Évidemment, si le personnel se met en arrêt maladie, au bout du rouleau, ce n'est pas à cause du manque de lits, mais de la paperasse… l'élément de langage est repris au même moment par le ministre de la Santé, François Braun, lors d'un déplacement fin janvier à Bordeaux.
Elle embarrasse même son camp
Et on pourrait continuer ad nauseam avec la manière pas du tout partisane dont Brigitte Macron distille ses conseils. Le niveau des enfants baisse en orthographe ? "L'orthographe, c'est une matière injuste, certains font zéro faute même sans trop connaître les règles, et inversement. Je recommande de faire tous les jours une petite dictée." Une recommandation pas du tout politique, présente… dans le plan orthographe proposé à la rentrée par le ministre de l'Éducation nationale Pap NDiaye. Un délégué syndical notait chez Franceinfo que cette proposition n'avait "rien de révolutionnaire", ajoutant : "la dictée, on la fait déjà tous les jours".
Ancienne enseignante, Brigitte Macron est aussi en faveur du port de l'uniforme à l'école. "J'ai porté l'uniforme comme élève : quinze ans de jupette bleu marine, pull bleu marine. Et je l'ai bien vécu. Cela gomme les différences, on gagne du temps – c'est chronophage de choisir comment s'habiller le matin – et de l'argent – par rapport aux marques." Une sortie qui a fait crisser des dents au sein même de la Macronie, sur un sujet auquel le ministre lui-même est cette fois-ci défavorable. Le totem du retour de l'uniforme à l'école, qui n'a jamais été obligatoire en France, est en effet agité par le Rassemblement national, qui avait voulu en faire une loi rejetée par l'Assemblée nationale… le jour même de la parution de l'entretien de Brigitte Macron dans le Parisien. Cette séquence fait presque office de symbole pour le camp présidentiel : celui, raconte le Monde, d'une première dame qui prend un peu trop ses aises, ce qui "embarrasse et divise le camp présidentiel".
"Une catastrophe"
L'implication politique de la femme du président de la République a-t-elle oui ou non un effet ? Quand Emmanuel Macron arrive à l'Elysée en 2017, il fait de l'autisme une des causes nationales de son mandat. En 2017, il lance un plan national doté de 205 millions d'euros afin d'améliorer la prise en charge de cette maladie. Et c'est à son épouse que revient la tâche de porter ce projet : Vanity Fair se fend alors d'un long portrait de Domitille Cauet, ancienne camarade de classe du président élu, mère d'un enfant autiste dont le témoignage "a touché le couple présidentiel". Brigitte Macron est également d'un déplacement de son mari à Rouen en 2018, dans un lieu dédié à la prise en charge de patients autistes. En 2022 sur Franceinfo, l'association SOS Autisme France dénonce "une catastrophe" à propos de ce fameux plan national : "Il y avait eu un effet d'annonce et de l'espoir généré dans les associations et chez les parents mais, malheureusement, l'application de ce plan n'a pas été bien gérée par la ministre, explique Olivia Cattan, la présidente de l'association. Au lieu de créer de nouveaux postes d'auxiliaires de vie scolaire, qui accompagnent nos enfants à l'école, les aides ont été pour faire des économies."
Parfois, l'épouse du président de la République, loin de la communication, des couvertures de magazine et des plateaux télé, essaye de jouer plus en coulisses. En avril 2022, Mediapart révélait que son cabinet avait déclenché l'inspection d'un professeur de français en conflit avec une parent d'élève. L'affaire avait rappelé le flou qui règne autour du statut de la première dame, que Macron voulait clarifier et graver dans le marbre. En attendant, comme le notait Mediapart, la Cour des comptes rappelait qu'elle disposait de son propre cabinet (au coût salarial de 290 000 euros par an), et que cette activité ainsi que "les dépenses qui y sont liées reposent sur une coutume républicaine et n'ont pas de fondement légal ou réglementaire". Par coutume, la femme du président de la République a dans ses missions la "représentation de la France", la "supervision" de réceptions à l'Élysée et le "soutien" à des œuvres caritatives. Brigitte Macron a manifestement ajouté celle de porte-parole de la présidence.