Bricmont / Auschwitz : un auteur conteste sa citation

Daniel Schneidermann - - 3 commentaires


Citations confusionnistes, cas d'école.

Je disais ma colère, la semaine dernière, sur un entretien réalisé par Hors Série (édité par @si), avec le physicien belge Jean Bricmont, sourcilleux défenseur de la liberté d'expression des négationnistes. Dans sa démonstration, écrivais-je, Bricmont "balance en rafale une série de citations d'historiens irréprochables ayant émis des doutes sur tel ou tel aspect de l’histoire de l’extermination" le problème étant que "toutes les citations de Bricmont sont décontextualisées, et que Bricmont leur fait dire ce qu'il a envie de leur faire dire, et qu'elles ne disent pas forcément".

Or une citation, lancée dans la rafale par Bricmont, a précisément été contestée… par son propre auteur. Face à Maja Neskovic (Hors Série), Bricmont disait : "Quand Eric Conan dit « Auschwitz tout est faux, ce qu’on montre aux touristes etc. » On se dit qu’est-ce qui se passe, pourquoi ces gens ne sont pas poursuivis." Maja tentait alors de le reprendre : "Il ne dit pas qu’Auschwitz… Il dit que le camp est reconstitué, voilà." "Oui mais il dit l’expression « tout est faux »", insistait Bricmont.

A 1'45", la (fausse) citation de Conan par Bricmont

Actuel directeur adjoint de la rédaction de Marianne, Eric Conan nous a fait parvenir l’article dont est extraite la citation (La mémoire du mal, publié en janvier 1995 dans L’Express). A aucun moment il n'y écrit "à Auschwitz, tout est faux, ce qu’on montre aux touristes". Conan évoque en fait une seule et unique partie du camp : le crématoire 1. "L'exemple du crématoire I, le seul d'Auschwitz I, est significatif. Dans sa morgue fut installée la première chambre à gaz. Elle fonctionna peu de temps, au début de 1942: l'isolement de la zone, qu'impliquaient les gazages, perturbait l'activité du camp. Il fut donc décidé, à la fin d'avril 1942, de transférer ces gazages mortels à Birkenau [Auschwitz 2], où ils furent pratiqués, sur des victimes essentiellement juives, à une échelle industrielle. Le crématoire I fut, par la suite, transformé en abri antiaérien, avec salle d'opération. En 1948, lors de la création du musée, le crématoire I fut reconstitué dans un état d'origine supposé. Tout y est faux: les dimensions de la chambre à gaz, l'emplacement des portes, les ouvertures pour le versement du Zyklon B, les fours, rebâtis selon les souvenirs de quelques survivants, la hauteur de la cheminée. A la fin des années 70, Robert Faurisson exploita d'autant mieux ces falsifications que les responsables du musée rechignaient alors à les reconnaître."

Bricmont fait donc semblant de s’interroger sur "pourquoi Eric Conan n'est pas poursuivi". La réponse est simple : parceque Conan, enrôlé bien malgré lui dans une démonstration négationniste, n’a pas tenu les propos que lui prête Bricmont. Les mises à jour nécessaires ont été effectuées dans ma chronique, et dans la réponse de Judith.

Bricmont et la liberté d'expression en Allemagne nazie

Par ailleurs, interrogé par le site suisse anti-israélien "Arret sur info", Bricmont est revenu sur la polémique, réitérant notamment ses "interrogations" sur la légitimité d' "un magistrat d'origine juive", à traiter de l'affaire Dieudonné (je vous en parlais ici), avant de conclure étonnamment que "le jugement était politique et scandaleux, mais que les origines de la personne qui l'a rendu n'avaient aucune importance dans cette affaire". Tiens donc. Alors, pourquoi s'être lourdement appesanti sur son "origine juive", si elle n'avait aucune importance ?

A noter que dans le même entretien, Bricmont, qui accumule décidément les fulgurances, avance (à partir de 6'20") que "en Allemagne nazie, il y a des gens qui ont défendu la physique de Einstein. Il y avait des discussions sur ce qui était permis, et pas permis" s'appliquant ainsi à démontrer que la liberté d'expression, en Allemagne nazie, était bien supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui en France. Mais certainement expliquera-t-il que ce n'est pas ce qu'il voulait dire.

Lire aussi la chronique toute fraîche de Daniel Schneidermann : Complainte du jambon dans le sandwich de la guerre, ma vie entre Bricmont et Ulcan

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