Bettencourt : journalistes bientôt mis en examen

Dan Israel - - 0 commentaires

Etait-il licite de publier les retranscriptions et les enregistrements des conversations enregistrées chez Liliane Bettencourt par son majordome indélicat, entre mai 2009 et mai 2010 ?

La justice va se poser la question très prochainement, en ouvrant le volet de "l'atteinte à l'intimité de la vie privée" de cette tentaculaire affaire, instruite par plusieurs juges à Bordeaux. Fabrice Lhomme, coauteur avec Fabrice Arfi des articles de Mediapart sur l'affaire en 2010 (et aujourd'hui au Monde), est convoqué le 5 avril par le juge d'instruction Jean-Michel Gentil qui "envisage sa mise en examen", a annoncé "une source proche du dossier" à l'AFP. Arfi n'a pas encore reçu de convocation, mais selon nos informations, elle ne devrait pas tarder. Le Monde indique par ailleurs qu'Edwy Plenel, le directeur de la publication de Mediapart devrait lui aussi être convoqué.

Mais la justice ne s'intéresse pas qu'au site d'info. Le Point est également visé, a indiqué Le Monde en début d'après-midi. Le journaliste Hervé Gattegno, et son directeur Franz-Olivier Giesbert vont eux aussi réceptionner une convocation. Selon l'AFP, l'audition est même prévue pour le 29 mars. On se souvient en effet que Le Point avait publié ses premières retranscriptions d'enregistrements le même jour que Mediapart, le 16 juin 2010, mais en choisissant des extraits qui n'incriminaient pas Eric Woerth.

Le juge veut comprendre comment les journalistes ont "conservé, porté ou laissé porter à la connaissance du public (...) l'enregistrement de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel". Même si aucun des journalistes concernés n'a jamais donné ses sources, d'autres, notamment le Monde, ont déjà raconté (ici et , par exemple) comment ils avaient été approchés par l'avocat Olivier Metzner, défenseur de la fille de Liliane Bettencourt, alors en pleine bataille juridique avec sa mère. Metzner avait évoqué ces enregistrements pendant les suspensions d'audience du procès Kerviel, notamment devant Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire du Monde, qui n'avait pas donné suite. Selon l'AFP, l'enregistrement et la publication d'enregistrements pirates sont punis d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende au maximum.

Tout le piquant de ce nouveau développement est que, selon Libération, le juge Gentil, qui devrait poursuivre les médias pour la diffusion des enregistrements, s'est lui-même basé sur leur contenu pour mettre en examen Eric Woerth il y a quelques semaines. Sur le statut de ces bandes, la justice elle-même est en effet divisée, à son plus haut niveau, puisque la Cour de cassation a rendu deux décisions contradictoires à leur sujet. Le 31 janvier dernier, elle a validé la possibilité d'utiliser ces enregistrements dans le cadre d'un dossier pénal. Alors que le 6 octobre 2011, la même Cour avait considéré que la publication des enregistrements n'était pas légitime (contredisant ainsi les juges de première instance et d'appel).

Des enregistrements légitimement utilisés par la justice, mais que les médias n'auraient pas dû publier, en somme. Mais sans publication dans Le Point ou Mediapart, jamais la justice ne se serait saisie du contenu de ces conversations privées… Les suites du dossier s'annoncent encore passionnantes.

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