Affaire Woerth : "justice incompréhensible" (Presse judiciaire)

Dan Israel - - 0 commentaires

Pas contents, les journalistes chargés des questions de justice.

Le bureau de l'association de la presse judiciaire a publié vendredi un communiqué au ton ouvertement contrarié, pour se plaindre de la façon dont le parquet avait communiqué autour des deux mises en examen d'Eric Woerth, mercredi et jeudi à Bordeaux, dans le cadre de l'affaire Bettecourt.

"Durant deux jours, le parquet s’est refusé à confirmer ou préciser la moindre information factuelle, même la plus évidente, déplore le communiqué. La présence de M. Woerth mercredi dans le cabinet des juges n’a finalement été admise qu’à 19h30 par un communiqué." Il a été mis en examen pour trafic d'influence passif : on lui reproche d'avoir remis la Légion d'honneur au conseiller financier de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre, qui avait embauché la femme du ministre chez Clymène, la société qui gérait la fortune de l'actionnaire de l'Oréal.

Mais le problème réside surtout dans l'attitude du parquet de Bordeaux jeudi. Suite à la seconde audition d'Eric Woerth en deux jours, la presse n'a pu demander des informations qu'à son avocat, Jean-Yves Le Borgne.

Suite à un malentendu, plusieurs journalistes ont compris que Woerth n'avait pas été mis en examen une seconde fois. C'est ce qu'une dépêche AFP a même indiqué. Finalement, le procureur de Bordeaux, toujours par communiqué, a donné quelques informations, mais très parcellaires. "Dans un communiqué de cinq lignes, le haut magistrat annonce que M. Woerth, entendu par les juges dans la procédure ouverte pour escroquerie, abus de confiance, blanchiment, abus de faiblesse, a été mis en examen pour recel. Mais sans spécifier de quel délit, se plaint l'association de la presse judiciaire. (…) Le procureur de Bordeaux a omis l’information la plus importante, laissant se propager dans les médias des hypothèses diverses, voire contradictoires."

En effet, la formule choisie par le procureur est alambiquée : pour sa seconde mise en examen, indique-t-il, Woerth est visé par le soupçon "de recel à raison d'une présumée remise de numéraire qui lui aurait été faite par M. Patrice de Maistre". Les juges lui reprochent d'avoir touché début 2007 au moins 50 000 euros de la part de Patrice de Maistre alors qu'il était trésorier de l'UMP, et de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.

Problème, selon le code pénal, le terme de recel est très flou, puisqu'il désigne "le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit". Il est ainsi possible de voir des condamnations ou des mises en examen pour recel d'abus de bien sociaux, recel d'abus de confiance, ou recel de blanchiment. Dans le cas de Woerth, rien n'a été précisé, ce qui laisse le champ libre à l'interprétation.

Ainsi, pour l'AFP, le délit de recel a été choisi parce qu'il permet de retarder le délai de prescription, qui aurait touché une procédure menée après une mise en examen pour financement illicite de parti politique. Pour Le Monde, en revanche, les juges ont choisi d'éviter le " recel de financement illicite de parti politique" parce qu'ils n'ont pu "établir matériellement" que Woerth "avait ensuite fait profiter la campagne électorale de M. Sarkozy de cette somme".

"En jouant ainsi au chat et à la souris avec la presse, le parquet de Bordeaux ne semble pas avoir conscience qu'il participe à la désinformation du public, fustigent les journalistes judiciaires. La cacophonie qu'il entretient nuit en premier lieu à l'institution qu'il est censé servir. Car une justice incompréhensible est une justice incomprise."

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